Bientôt une banque de données médicales ?
L’article 47 de la future loi santé, en débat à l’Assemblée nationale, prévoit de rendre publiques (après avoir été rendues anonymes) les milliards d’informations détenues par la Caisse d’Assurance maladie sur tous les Français : feuilles de soins, données hospitalières, causes de décès et autres informations médico-sociales… A quoi cela va-t-il servir ? Faut-il avoir peur de tant de transparence ? Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine et directeur de l’Espace éthique de l’AP-HP était l’invité du Magazine de la Santé pour répondre à nos questions
La disposition est attendue depuis de nombreuses années par les chercheurs : l’article 47 du projet de loi santé doit faciliter et encadrer l’accès aux données de santé publiques, afin de faciliter les études sanitaires ou médico-économiques.
Dès lors que les données sont mises à disposition du public (open data), elles seraient rendues anonymes. Mais certains craignent que cette anonymat soit réversible. Cette reversibilité, qui pourrait être utile en cas de crise sanitaire (pour retrouver rapidement des patients ayant un profil à risque), pourrait s'avérer très problématique dès lors que les données tomberaient entre les mains d'entreprises privées ou d'assureurs...
Le sujet est "angoissant d'un point de vue des libertés fondamentales", soulignait Emmanuel Hirsch dans notre émission. "Les données de santé ont une valeur marchande. Si demain l'un d'entre nous a une intrusion sur des fichiers qui le concerne, et est atteint de telle ou telle maladie génétique [...] est-ce que l'assureur en tiendra compte ou pas ?", s'interroge-t-il.
Pour éviter les abus, un institut national des données de santé devrait être créé. Mais ce point pose également d'importants problèmes. En effet, le libre accès aux données sanitaires offrait théoriquement aux journalistes l’opportunité d'enquêter sur de nombreux dysfonctionenments du système de santé (dépassements d'honoraires, inégalités d'accès aux soins et leur qualité). Mais comme l'observait fin mars l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis) l'article 47, dans sa formulation actuelle, "menace gravement la liberté d'informer". L'association craint en effet que les journalistes ne soient obligés de soumettre la "méthodologie et le résultat" de leurs enquêtes à deux instances différentes (un comité d'experts "à la composition incertaine" et une nouvelle instance "constituée de la société civile et d'acteurs économiques du secteur"), "avant publication".
Ainsi, l'article 47 consacré aux données "pourrait se trouver en contradiction avec des principes fondamentaux de la loi sur la presse de 1881, comme le contrôle préalable de publication, fondement de la censure", selon l'Ajis. Ne comprenant pas "la volonté" de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, "de vouloir corseter l'accès de la presse" aux données, l'association a réclamé que "les ambiguïtés de ce texte soit levées", afin de garantir la liberté d'informer.
Critiqué par de nombreux acteurs du système de santé, l'article 47 a été réécrit via un amendement adopté mi-mars en commission des Affaires sociales à l'Assemblée nationale. Il prévoit la création d'un système national des données de santé, rassemblant notamment celles du système national d'information inter-régime de l'Assurance maladie (Sniiram) et du Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) des hôpitaux. Ces derniers enregistrent près d'1,2 milliard de feuilles de soins par an, 500 millions d'actes médicaux et 11 millions d'hospitalisations.