Marcel Rufo : « Etre normal, c’est s’accepter tel que l’on est »
A l'occasion des Journées annuelles d'Ethique, le Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE) a invité Marcel Rufo, pédopsychiatre, sur le thème de la "normalité". Nous lui avons posé quelques questions en avant-première sur son intervention.
- A quel âge se demande t-on si on est "normal" ?
Marcel Rufo : "Pour la plupart des enfants, la question de la normalité n'est pas douloureuse avant l'adolescence. Quand ils sont petits, les enfants s'identifient à leurs parents, leur professeur, les adultes qui les entourent, et ils ne se posent pas vraiment la question de qui ils sont, eux.
"A l'adolescence, l'individu commence à s'autonomiser, à devenir indépendant, à devenir un autre… Là commence la peur d'être différent, d'être si différent qu'on en serait anormal".
- C’est assez contradictoire, parce que l’adolescent a peur d’être normal, mais en même temps, on a l’impression qu’il fait tout pour se rendre unique.
Marcel Rufo : "Oui, c'est exactement ça, et cela reflète toute le complexité de l'adolescence. Face à la peur de se découvrir et de devenir adulte, les adolescents se cachent dans des comportements excessifs : ils rient forts entre eux, tentent des expériences à risques, ils ont tellement peur d'être face à eux-mêmes qu'ils exagèrent leurs comportements.
"Ils ont en même temps peur d’être banals, et peur d’être différent, anormal, et donc peur d’être rejeté."
- Pourquoi à l’adolescence la peur d’être anormal est-elle aussi forte ?
Marcel Rufo : "C'est l’âge où l'avis des autres est une obsession. Que vont penser les autres ? Vont-ils m’apprécier ? Vont-ils me trouver drôle ? Beau (belle) ? Intelligent(e) ?
"La peur d’être rejeté est très forte, à ce moment de la vie où l'on se sépare de ses parents, où l’on découvre que l'on est un être à part entière."
- Arrête t-on de se poser la question quand on devient adulte ?
Marcel Rufo : "Pas forcément, certains vont continuer de se remettre en question, évaluer leur propre normalité face aux autres. Par exemple, lors d'une rencontre professionnelle, d'une rencontre amoureuse."
- Comment définit-on la normalité ?
Marcel Rufo : "C'est très intime la normalité en fin de compte. Chacun va la définir de façon différente, par rapport à son vécu, ses rencontres, sa famille. Ce qui est normal pour moi ne l'est pas forcément pour d'autres.
"Une jeune fille que je voyais en consultation me racontait qu'elle allait peut être essayer de repasser un nouvel examen, une agrégation. Alors qu'elle était déjà diplômée de Normale Sup et d'une autre grande école. Elle disait avoir besoin de se rassurer sur elle. Moi, avec un seul de ses diplômes, j’aurais été déjà complètement rassuré."
- Qu'est-ce que cela veut dire "être normal" pour vous ?
Marcel Rufo : "Un de mes maîtres, Arthur Tatossian (ndlr : psychiatre, président du Syndicat des psychiatres français entre 1984 et 1990) m'avait dit Plus on est normal, plus on est intelligent. J'ai compris aujourd'hui pourquoi ce qu'il voulait dire.
"Etre normal, c’est s'accepter tel que l'on est, comme un être du monde, malgré toutes nos limites. Alors enfin on se sentira apaisé, et heureux. Et n’est ce pas ça, être intelligent ?"
Marcel Rufo est pédopsychiatre, directeur médical de l'Espace méditerranéen de l'adolescence à l'hôpital Salvator de Marseille.
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