Couverture vaccinale : vaincre une épidémie sans vacciner tout le monde
L'épidémie de choléra qui ravage Haïti depuis 2010 peine à être endiguée. L'efficacité restreinte des vaccins existants, ajoutée à leur coût, écartait jusqu'à présent l'hypothèse de leur emploi dans la stratégie de lutte. Dans un article publié dans la revue Nature, des virologues de l'Université de Floride viennent cependant de démontrer qu'utiliser ces mêmes vaccins sur à peine 46% de la population entraînerait la disparition de la maladie. Une couverture vaccinale réduite peut en effet avoir de grands effets…
Pour qu'une maladie se propage, elle doit avoir des relais. Selon le pouvoir infectieux d'une maladie, chaque porteur transmettra celle-ci à un nombre variable de personnes saines, qui elles-mêmes participent de l'épidémie.
La logique du déploiement d'une couverture vaccinale est la suivante : chaque relai potentiel, rendu plus ou moins résistant à la maladie, constitue un frein, voire une barrière, entre les sujets atteints et les sujets sains. Petit à petit, l'agent infectieux qui pouvait se déployer librement rencontre de nouveaux murs. La distance qui la sépare de ses cibles potentielles croit progressivement, s'épuisant tôt ou tard dans le labyrinthe construit par les personnes vaccinées.
Bien évidemment, toutes les maladies ne se ressemblent pas. Les virologues les classent habituellement selon leur "taux de reproduction", qui caractérise le potentiel épidémique.
Dans les modes de calculs les plus simples, ce taux de reproduction dépend de trois paramètres.
Trois paramètres
Premièrement, la période durant laquelle la maladie est contagieuse. Le temps d'incubation dans l'organisme avant que la contagion soit possible varie d'une situation à l'autre, de même que le temps au bout duquel cette capacité de transmission reste effective. Dans certains cas, cette contagiosité se mesure en heures ; dans d'autres, elle peut couvrir la durée de vie des personnes infectées...
Deuxième élément à prendre en compte, le nombre de contacts sociaux, par heure, par jour ou par semaine. Il faut souvent identifier le mode de transmission privilégié de chaque maladie pour affiner le calcul : alors que les virus de la gastroentérite peuvent transiter grâce au geste banal d'une poignée de mains, d'autres ne pourront se propager qu'au moyen d'échanges de fluides corporels.
Le dernier paramètre tient compte des modes de vies et des comportements des populations, notamment en termes d'hygiène. Cette "probabilité de transmission" consiste en fait dans la proportion de la population qui n'assure pas efficacement sa propre protection, à des degrés divers. Dans certains cas, le port de masques, de gants ou le fait de se laver les mains intègre la liste des comportements "efficaces". Le geste vaccinal, lorsqu'il est possible, entre également dans l'équation.
Course de relais
La multiplication de ces trois facteurs - durée de contagiosité, fréquence de contacts sociaux, proportion de personnes non protégées - définit le taux de reproduction de la maladie. Un petit chiffre qui correspond, tout simplement, au nombre de personnes qu'une personne infectée est susceptible de contaminer.
Si le nombre de personnes que chaque malade peut infecter est supérieur à un, la maladie se déploie rapidement. Dans une course de relais, chacun passerait non pas le témoin à une seule personne, mais à plusieurs, chacune transmettant à son tour l'infection à d'autres individus… Si la maladie est bénigne et guérit rapidement, l'épidémie, bien qu'étendue, cesse rapidement : les milliers de copies du premier "bâton témoin" de la course de relais disparaissent peu à peu. Mais la durée de contagiosité et la dangerosité de la maladie sont d'autres fois - c'est le cas du choléra - bien plus importantes.
Considérons maintenant que le taux de contagion de la maladie soit inférieur à un. Cela signifie que le bâton de relais n'est pas transmis par chaque coureur à une nouvelle personne. A chaque étape du relais, de moins en moins de bâtons sont transmis et la maladie… disparaît.
Un modèle affiné selon chaque maladie
Le "taux de reproduction" permet donc d'évaluer immédiatement le nombre de personnes à vacciner. Plus celui-ci est important, plus il faut d'acteurs pour "faire barrage" à la maladie.
Dans le cas de l'épidémie de choléra à Haïti, les virologues ont intégré l'efficacité des vaccins dans les termes de l'équation. Or, même si ces vaccins sont pour beaucoup considérés comme efficaces "à 50%", ils ne sont pas sans effet. Car si chaque mur du labyrinthe dressé contre la maladie n'est pas imperméable "à tout coup", leur multiplication accroit tout de même la distance qui la sépare de sujets sains.
Le cas du choléra correspond à une situation où la durée de contagiosité de la maladie est importante. Néanmoins, une fois la propagation suffisamment ralentie, les traitements éventuels ont le temps d'être administrés. La maladie progresse moins vite qu'elle n'est soignée. Et dès lors que suffisamment de sujets cessent d'être contagieux (et même s'ils ne sont pas guéris), la maladie commence à disparaître.
Les virologues sont très attentifs aux nombreux paramètres (âge, sexe, etc.) qui influent le calcul, autrement simple, du taux de reproduction de la maladie. En 2005, des scientifiques qui étudiaient la dengue au Brésil ont ainsi transformé l'équation en questionnant très précisément le comportement des moustiques, vecteurs de l'infection.
Le cas d'Haïti
Les travaux publiés dans Nature sur la situation en Haïti s'appuient sur un profil très fin des comportements de la population et du potentiel protecteur des différents vaccins à disposition. Malgré l'importante contagiosité du choléra, son taux de reproduction actuel peut être considéré comme suffisamment faible pour qu'une campagne de vaccination réduite puisse venir à bout de l'épidémie.
Selon le dernier bilan (PDF) de la Pan American Health Organization (PAHO), le choléra a déjà touché 635.000 Haïtiens (soit 6% de la population) et fait 7.912 morts depuis le début de l'épidémie en octobre 2010. Aujourd'hui, alors que seul 1% de la population est vaccinée !, aucune campagne d'ampleur n'a été programmée. L'estimation des virologues américains démontre qu'une sortie de crise est pourtant aisément envisageable.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à déclaré jeudi que "des discussions étaient en cours entre le ministère haïtien de la santé, l'OMS et la PAHO" pour lancer une tel dispositif, mais que "rien n'a encore été décidé".
Source : "Cholera in Haiti: Reproductive numbers and vaccination coverage estimates", Zindoga Mukandavire,David L. Smith & J. Glenn Morris Jr, Scientific Reports3, doi:10.1038/srep00997
En savoir plus
- Sur Allodocteurs.fr
- Haïti : après le séisme, le choléra
- Institut Pasteur
Le choléra : épidémiologie, transmission, symptômes et traitement, vaccination.
- Institut national de veille sanitaire
"Maladies infectieuses : la modélisation mathématique, un outil d'aide à la décision".