Non, le vaccin contre la rougeole ne "cause" pas l’autisme
Une rumeur affirmant que les "tribunaux américains" auraient reconnu que le vaccin contre la rougeole causerait l’autisme circule actuellement sur internet. Cette information ne s’appuie sur aucune preuve valide. Décryptage.
"Les tribunaux confirment discrètement que le vaccin ROR cause l’autisme" affirme un article du site Santé-nutrition.org publié en 2015 et qui réapparait aujourd’hui dans l’actualité à l’heure où l’épidémie de rougeole bat son plein. Selon Santé nutrition, le "tribunal des vaccins" du gouvernement fédéral américain aurait "concédé, quoique très discrètement, que la combinaison de la Rougeole, des Oreillons et de la Rubéole (ROR) en un seul vaccin provoque effectivement l’autisme". Le site internet accuse également "les médias traditionnels" de ne pas relayer l’information et affirme que la décision du tribunal a été en partie "censurée du public". Mais attention, cette déclaration faussée ne s’appuie sur aucune preuve ni juridique, ni scientifique.
Vaccin ROR, rougeole et risque d’encéphalite
Remontons à l’origine de cette affaire pour y voir plus clair : en 2003, aux États-Unis, Ryan Mojabi alors âgé de neuf ans reçoit une injection de vaccin ROR et développe à la même époque une encéphalite (ou inflammation du cerveau) et des troubles du spectre autistique (TSA). Le cas fait l’objet d’une plainte et le document de la United States Court of Federal Claims (Cour fédérale des plaintes), relayé par l’AFP Factuel, rapporte que les juges ont effectivement reconnu que le garçon a souffert d’une encéphalite à la suite de l’injection. Conséquence, et en accord avec le programme américain d’indemnisation des effets secondaires, la famille de Ryan a reçu une compensation financière de près d’un million de dollars. Mais à aucun moment la Cour n’établit ou ne reconnaît de lien entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme.
En effet, l’encéphalite fait bien partie des effets secondaires reconnus du vaccin ROR même si sa survenue reste très rare : sa fréquence est estimée à un sur 10 millions de vaccinations. Une fréquence si peu élevée que "le risque d’encéphalite suite à l’administration du vaccin est bien inférieur au risque d’encéphalite causé par les infections naturelles" et donc de la rougeole en elle-même, qui comporte un risque d’encéphalite de un sur 1000 à un sur 2000 cas d’encéphalite, selon la Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) du vaccin ROR publiée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Mais même si l’effet secondaire est reconnu, il est essentiel de différencier l’encéphalite et les troubles du spectre autistique, comme l’explique à l’AFP le professeur Kumaran Deiva, chef de service en Neurologie pédiatrique à l'hôpital Bicêtre (Val-de-Marne). En effet, s’il n’est pas rare que les enfants souffrant d’autisme présentent des encéphalites, l’inverse n’est pas vrai : "dire par ricochet que le vaccin contre la rougeole peut donner l'autisme parce que l'encéphalite peut donner des troubles du spectre autistique, c'est faux", détaille le professeur Deiva.
Une fausse étude à l’origine de la rumeur
Mais alors d’où vient cette idée reçue largement véhiculée selon laquelle le vaccin ROR provoque l’autisme ? Une étude scientifique frauduleuse est à l’origine de ce mythe : publiée en 1998 dans la revue médicale The Lancet, elle a été retirée de la publication en 2010 et son auteur principal, le gastro-entérologue Andrew Wakefield, a depuis été radié de l’ordre des médecins britannique. Dans cette étude, le docteur Wakefield établit un lien de causalité entre l’administration du vaccin ROR et le développement de troubles du développement chez les enfants.
Problèmes : le médecin est soumis à des conflits d’intérêts non déclarés avec des lobbyistes anti-vaccin, n’a travaillé que sur un échantillon de personnes très réduit (12 enfants seulement) et n’apporte aucune preuve valide d’une causalité entre le vaccin et l’autisme.
"L’article a immédiatement entraîné une avalanche de réactions parmi les experts, principalement des réactions négatives, en particulier sous la forme de lettres adressées au Lancet à propos du problème principal : 'la corrélation dans le temps n’implique pas de causalité : B faisant suite à A ne signifie pas que A a causé B…' " rapporte le professeur Philippe Sansonetti, médecin et chercheur en microbiologie à l’Institut Pasteur dans un éditorial publié le 23 avril 2018 dans la revue EMBO Molecular Medicine.
Depuis, les études sur le sujet ont confirmé l’absence de lien entre le vaccin et l’autisme : "Aucune des études qui ont suivi conduites avec une méthodologie épidémiologique irréprochable […] n’a pu détecté une corrélation entre une augmentation de l’occurrence de l’autisme et le vaccin ROR" écrit le professeur Sansonetti dans son éditorial.
Preuves scientifiques contre vérités alternatives
Malgré les réactions des experts et les publications sérieuses qui ont suivi, il a fallu 12 ans pour que le Lancet retire cette étude. "Trop tard : le ver était dans le fruit. […] Bienvenue dans le monde des fake news dans lequel l’autorité des preuves scientifiques perd du terrain face aux vérités et aux sciences alternatives" déplore le professeur Sansonetti dans son éditorial.
Aujourd’hui, la rumeur du risque d’autisme persiste et continue de faire des ravages : "Cette affaire constitue une cicatrice sur laquelle peuvent s’appuyer les anti-vaccins, à l’heure où Andrew Wakefield est presque devenu une référence dans le monde de l’anti-vaccination" nous explique le professeur Sansonetti. "Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage" résume-t-il.
Ainsi, à l’heure où la rougeole gagne du terrain (le nombre de cas de rougeole dans le monde a augmenté de 50% entre 2017 et 2018, selon l’OMS), la crainte de l’autisme constitue, pour les opposants à la vaccination, une raison de plus de la refuser. Mais "il serait faux de dire que les taux insuffisants de vaccination contre la rougeole sont uniquement dus aux arguments anti-vaccinaux tels que le risque d’autisme. Il ne faut pas négliger le fait que certains parents minimisent la gravité de la rougeole et que certains médecins ne démystifient pas suffisamment les mensonges et les fake news qui existent autour de la vaccination" commente le professeur Sansonetti. La rougeole reste effectivement une maladie grave à risque de complication, dont l’incidence a diminué principalement grâce à la vaccination. Et un arrêt du programme vaccinal entraînerait irrémédiablement une résurgence de cette maladie.