Vaccin BCG : histoire d'une pénurie
Le vaccin BCG constitue un espoir dans la lutte contre le coronavirus. Mais depuis 2016, se procurer ce vaccin contre la tuberculose est devenu très difficile en France. Comment en sommes-nous arrivés à une telle situation ?
C'est l'une des pistes étudiées contre les formes graves de Covid-19. Et pourtant cela fait des années que le bacille de Calmette et Guérin (BCG), du nom des deux hommes qui l'ont mis au point il y a un siècle, n'est plus disponible que dans certaines structures en France.
À l'origine massivement utilisé pour lutter contre la tuberculose, ce vaccin est resté obligatoire pour tous les nouveaux nés jusqu'en 2007. Certaines populations comme les professionnels de santé ou les personnes nées en Ile-de-France doivent encore être vaccinées. Mais la disponibilité du BCG s'est amenuisée, jusqu'à la pénurie en 2016.
2005 : le vaccin change de forme
Pour comprendre, il faut remonter en 2005, l'année où la forme du vaccin évolue, suite au changement des recommandations internationales. Sanofi Pasteur produit et distribue alors un vaccin dit à multipuncture - il s'agit d'un dispositif de plastique, hérissé de 9 pointes recouvertes d’un capuchon contenant du vaccin liquide-. La nouvelle forme requise par l'OMS est un vaccin que Sanofi n'a jamais produit : il s'administre par voie intradermique.
" Se lancer dans la production d'un vaccin qu'on n'a jamais produit prend beaucoup de temps, et c'est un choix qui n'a pas été fait à l'époque ", explique une responsable de la communication de Sanofi.
Cette nouvelle forme, qui permet de vacciner dix personnes avec un seul produit, s'appelle le BCG SSI, du nom du laboratoire d'état danois qui la produit, Statens Serum Institut. Le rôle de Sanofi se limite désormais à la distribution.
2014-2015 : de " gros aléas de production "
Après près de dix ans de distribution sans heurt, le laboratoire SSI rencontre de " gros aléas de production ", selon Sanofi. Ces difficultés proviennent d'un problème de conformité aux normes européennes, selon le distributeur actuel du vaccin, CSP.
Les problématiques rencontrées vont des concentrations bactériologiques dans les lots à la stérilisation à la robustesse des processus de fabrication. La proportion de vaccins qui parvient à passer le filet des contrôles de qualité est de plus en plus faible, jusqu'à l'arrêt de la production en 2016.
2015-2018 : pallier la pénurie
Un contingentement est alors mis en place : les vaccins sont dirigés vers des structures précises, comme les centres de protection maternelle et infantile (PMI) ou les centres anti-tuberculose. " Une fois ouvert, le flacon reste valide seulement quatre heures, explique Sanofi. Auparavant, les médecins utilisaient un flacon de dix doses pour faire une seule vaccination et jetaient le reste. Mais ensuite, il a fallu optimiser le format multidose."
De plus, pour que des vaccins restent disponibles, Sanofi apporte en 2016 une alternative : les vaccins Biomed Lublin, destinés à l'origine au marché polonais. Mais ces vaccins, contrairement aux BCG SSI, n'ont pas d'autorisation de mise sur le marché européen. Cette solution qui ne peut être que temporaire est approuvée par l'ANSM afin de garantir la possibilité de se vacciner.
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2018 : Sanofi passe le flambeau
La solution des vaccins d'origine polonaise ne suffit pas : Sanofi ne parvient pas à répondre à la demande toujours très importante. " Il y a très peu de producteurs de vaccins dans le monde, de manière générale déjà, et sur la spécialité tuberculose c'est encore plus critique, explique la chargé de communication de Sanofi. Les aléas de production n'ont pas permis une distribution stable et pérenne. "
Un constat partagé par CSP: " Il y a des déficits importants de vaccins BCG dans le monde. Les payeurs n'étaient pas forcément prêts à payer cher pour ces vaccins délaissés et un peu vieillots. A notre connaissance, aucun grand producteur – Sanofi, GSK, Merk, Phayser, les grands acteurs du vaccin dans le monde – n'a la vaccination BCG pour les nourrissons dans son portefeuille. "
Comme Sanofi ne parvient pas à fournir le marché français, il arrête la distribution du BCG en accord avec les autorités de santé. C'est CSP, un distributeur de produits pharmaceutiques, qui reprend ce rôle. La transition a lieu courant 2018. En mars 2019, CSP est devenu le distributeur attitré du BCG en France.
2019 : le marché français à nouveau approvisionné
Ce changement de distributeur entraîne un changement de producteur : CSP revient vers SSI, le laboratoire danois qui avait une autorisation de mise sur le marché européen. Mais entretemps, SSI a été racheté par AJVaccines. Ce dernier a investi beaucoup de moyens pour remettre le laboratoire à neuf afin qu'il corresponde de nouveau aux normes européennes.
Progressivement, davantage de vaccins passent les contrôles qualité. Mais la tuberculose est de retour, notamment en Ile-de-France où le nombre de cas a augmenté de 10% entre 2015 et 2017. Chaque année, sur 800 000 naissances, environ 300 000 enfants devraient être vaccinés au BCG.
Mais tous les enfants qui ont des précédents de tuberculose dans leur famille, ceux qui ont un parent issu de l'immigration, et ceux qui sont nés en Guyane, à Mayotte ou en Ile-de-France, ne le sont pas. Même si CSP assure que le distributeur est aujourd'hui capable de répondre à la demande des centres PMI et anti-tuberculose, il affirme que cela reste insuffisant pour vacciner tous les enfants qui en auraient besoin.
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Pire encore, alors que des essais sont menés sur le BCG pour établir s'il est efficace pour protéger des formes graves du Covid-19, CSP estime qu'il ne pourra de toute façon pas répondre à une demande plus importante, d'autant que les autorités de santé ne constituent pas de stock. Malgré plusieurs mails, l'ANSM n'a pas souhaité commenter.
" On a essayé d'alerter les autorités, surtout dans le cadre de l'épisode de crise sanitaire qu'on vit, déplore le responsable communication de CSP. Si le vaccin s'avére efficace contre les formes graves de Covid, il y aura une ruée sur les quelques producteurs de vaccins et on va se retrouver face à une pénurie de vaccins BCG pour les nourrissons pour lesquels la vaccination est recommandée. "
Selon lui, le scénario des masques risque même de se reproduire : le prix de ce vaccin normalement bon marché s'envolerait et les pays entreraient en concurrence. " En fonction des pays, certains seront prêts à payer plus ou moins cher le vaccin BCG , s'inquiète-t-il. Tout peut se passer, mais c'est une éventualité qui peut se réaliser. "