Loi contre les crimes sexuels : les associations en colère contre la clause "Roméo et Juliette"
L’Assemblée a voté en première lecture un texte censé renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles. Mais certaines clauses, notamment celle sur l’écart d’âge entre un mineur et un jeune majeur, dérangent les associations.
« Il faut arrêter de nous baratiner, il faut protéger les enfants dans ce pays. » Voici la première réaction d’Arnaud Gallais, victime d’inceste et co-fondateur du collectif associatif « Prévenir et protéger », après l’adoption en première lecture le 15 mars de la proposition de loi contre l’inceste par l’Assemblée Nationale.
Arnaud Gallais et Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la question des violences sexuelles, admettent volontiers les avancées de la lutte contre l’inceste depuis le #MeTooInceste. Un mineur de moins de 15 ans ne peut plus être considéré comme consentant à un rapport sexuel avec un adulte, et ce seuil est porté à 18 ans en cas d’inceste.
Toutefois, ils relèvent plusieurs points problématiques dans la proposition de loi Billon présentée hier à l’Assemblée.
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La clause « Roméo et Juliette »
L'une des clauses de cette loi établit que les sanctions ne s’appliquent pas si la différence d’âge entre le mineur et le majeur est inférieure à 5 ans. Or, selon Mme Salmona, « un pourcentage important de viols sont produits par de jeunes majeurs ». Leurs victimes de moins de 15 ans seraient donc forcées de prouver qu’elles n’étaient pas consentantes.
Cette clause doit « éviter d’incriminer les amours adolescentes » selon le ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti. Mais pour la psychiatre, l’argument ne tient pas. « On prend toujours le même exemple, une fille de 14 ans et un garçon de presque 18, qui risque d’être jugé. » Mais si la relation est consentie, ces adolescents ne se retrouveront jamais face à un tribunal, explique-t-elle.
Des arguments « de mauvaise foi »
Le deuxième problème que pose la clause « Roméo et Juliette » pour Muriel Salmona, c’est la suppression de l’atteinte sexuelle. Cette infraction sanctionne actuellement les relations sexuelles, y compris consenties, entre un majeur et un mineur de moins de quinze ans.
Mais dans le cas où le mineur et le majeur auraient moins de cinq ans d’écart, l’atteinte sexuelle ne s’appliquerait plus avec cette nouvelle loi. « Elle a été complètement supprimée dans ce cas. C’est une rupture d’égalité très importante », réagit la psychiatre.
Les mineurs de 13 à 15 ans dont l’agresseur aurait entre 18 et 20 ans ne seraient plus protégés ni par le délit d’atteinte sexuelle ni par la présomption de non-consentement.
Pas de risque d'erreur
D'après Muriel Salmona, cette clause est supposée éviter les erreurs judiciaires. Mais au vu du grand nombre de plaintes classées sans suite, la psychiatre ne craint pas que de jeunes majeurs soient condamnés à tort.
« Déjà que les agresseurs ne sont pas condamnés quand ils sont coupables … Ce sont des arguments d’une telle mauvaise foi qu’on en reste sans voix », regrette-t-elle. « La mesure phare qu’on attendait, c’était le seuil d’âge, et ça a été dévoyé complètement. »
D'autres demandes
Selon Arnaud Gallais, il manque beaucoup d’autres éléments dans cette loi, comme la protection des personnes qui signalent des abus. « La pédopsychiatre Catherine Bonnet a été sanctionnée par le conseil de l’Ordre il y a peu, pour avoir signalé des faits de maltraitance. A quel moment est-ce qu’on ne protège pas les personnes qui dénoncent ? Tout citoyen peut signaler et protéger un enfant. »
En outre, pour le co-fondateur de « Prévenir et protéger », l’imprescriptibilité est nécessaire en raison de l’amnésie traumatique de nombreuses victimes : « personnellement, j’ai oublié tous les faits pendant 15 ans. Certaines personnes en font pendant 10, 20, 30 ans ! »
« Culture du viol dans toute sa splendeur »
Pour Muriel Salmona, l’attitude d’Eric Dupont-Moretti vis-à-vis de cette loi est parlante. « Le ministre a parlé d’une ‘jeune femme’ de 14 ans et d’amours adolescentes avec un ‘gamin’ de 18 ou 19 ans. C’est la culture du viol dans toute sa splendeur. Les filles sont des femmes, des objets sexuels, mais les garçons sont très jeunes et irresponsables. »
Selon la psychiatre, le problème est profondément enfoui. « Ces hommes qui font cette loi ont des conflits d’intérêts manifestes par rapport à ce qu’ils ont dû vivre dans leur jeunesse. Ils ont tendance à protéger leurs congénères ! »