Les benzodiazépines : ces médicaments qui nous rendent dépendants
Un Français sur cinq consomme des benzodiazépines au moins une fois par an. Des crises d'angoisse à la dépression, en passant par les insomnies ou certaines maladies neurologiques, les raisons de prendre ces médicaments sont nombreuses. Pourtant ces molécules ne sont pas anodines. Les benzodiazépines peuvent avoir des effets secondaires sur la mémoire ou l'état psychomoteur... sans oublier le risque fort de dépendance.
Un Français sur cinq a déjà pris des anxiolytiques, autrement dit des médicaments qui atténuent le sentiment d'angoisse. Ils appartiennent à la famille des benzodiazépines, la catégorie d'anxiolytiques actuellement la plus vendue.
Si les anxiolytiques sont efficaces, leur consommation régulière a de nombreux effets secondaires comme des troubles de la mémoire, de la concentration ou du sommeil. Ils entraînent aussi une dépendance en quelques mois à peine. Or, plus de la moitié des patients sous benzodiazépines le sont depuis plus de deux ans.
Comment agissent les benzodiazépines ?
Les neurones communiquent entre eux dans un espace appelé synapse, grâce à des molécules et des neurotransmetteurs. Il existe de nombreuses variétés de neurotransmetteurs.
Le sentiment d'angoisse est associé à une hyperactivité des neurones impliqués dans les émotions. Le rôle des anxiolytiques est donc de ralentir l'activité de ces neurones en jouant sur des neurotransmetteurs spécifiques. En l'occurrence, les benzodiazépines agissent sur un neurotransmetteur appelé GABA : l'acide gamma-aminobutyrique. Son rôle est de réguler l'activité des neurones.
En se fixant sur le récepteur du neurone, le GABA permet l'entrée de molécules qui ralentissent l'activité des neurones, un peu comme une clé qui ouvre une porte et permet l'entrée de molécules relaxantes. Les benzodiazépines vont "booster" ce système de régulation naturelle en rendant le récepteur plus perméable. Les benzodiazépines vont permettre à la porte de s'ouvrir plus grand pour laisser rentrer une quantité plus importante de molécules relaxantes.
Benzodiazépines : mode d'emploi
Au total, 22 benzodiazépines sont commercialisées en France, réparties au sein de 4 groupes selon leurs indications :
- Les plus consommées sont les anxiolytiques. En 2010, selon l'Afssaps, les anxiolytiques représentaient plus de la moitié des boîtes vendues. Indication principale : le traitement des manifestations anxieuses sévères.
- Les hypnotiques prescrits dans le cadre de troubles importants du sommeil.
- Les myorelaxants indiqués pour le traitement des contractions musculaires.
- Les antiépileptiques représentent moins de 5 % du marché.
En 2017, l'Agence national de sécurité du médicament a publié un point sur la consommation des benzodiazépines. 13,4% des Français ont consommé au moins une fois une benzodiazépine, les femmes en utilisant davantage que les hommes. La France se situait au deuxième rang après l'Espagne (source : Ordre des pharmaciens). Depuis 2020, la pandémie de covid-19 a entraîné une hausse de la consommation des anxiolytiques et des hypnotiques, faisant partie des benzodiazépines (source : ANSM).
Pourtant l'usage de ces médicaments n'est pas anodin et peut comporter des effets secondaires importants : troubles de la mémoire et du comportement, altération des fonctions psychomotrices, altération de l'état de conscience qui peut entraîner insomnie, cauchemar, idées délirantes ou hallucinations… Plus les doses et la durée du traitement sont importantes, plus les risques de développer ces effets secondaires augmentent.
Les benzodiazépines augmentent le risque de démence et de chutes chez les personnes âgées et les patients fragiles (insuffisance rénale ou hépatique).
Pour limiter ces risques, ces médicaments sont délivrés uniquement sur ordonnance et la durée de prescription est pour la plupart d'entre eux, strictement encadrée : 12 semaines pour les anxiolytiques et 4 semaines pour les hypnotiques. Pourtant selon un rapport de l'Agence du médicament, la durée moyenne de traitement des anxiolytiques et hypnotiques est de 7 mois.
Le principal problème lié à ce mauvais usage, c'est la dépendance. Quand on prend ces médicaments pendant plusieurs mois, il ne faut jamais les arrêter du jour au lendemain sans avis médical.
Certaines stratégies non médicamenteuses peuvent permettre de faire le relai : règles d'hygiène de vie (sommeil, activité physique, alimentation), thérapies brèves, thérapies cognitives et comportementales, yoga, hypnose, etc (source : collège de la médecine générale).
Benzodiazépines : un sevrage pour mettre fin à la dépendance
Quand on veut arrêter de prendre des anxiolytiques, il est conseillé de se faire aider. Et si plusieurs tentatives de sevrage ont échoué, il est même possible de se faire hospitaliser.
Pour aider les patients dépendants, des services reçoivent des patients en consultation et leur proposent un protocole de sevrage lorsque cela s'avère nécessaire.
La dépendance des personnes âgées aux benzodiazépines
Dans les années 60-70, il y avait encore peu de recul sur les effets secondaires des anxiolytiques et particulièrement des benzodiazépines. À cette époque, ces médicaments étaient très souvent prescrits à haute dose et à long terme. De nombreux patients ont alors développé une addiction.
L'addiction aux benzodiazépines provoque des séquelles importantes comme l'explique le Dr Jean-Luc Rolhion, gériatre : "Les conséquences d'une dépendance aux benzodiazépines sont cérébrales. Au niveau du cerveau, il y a une baisse de vigilance, une perte de mémoire. Il y a d'importants troubles du sommeil et une déstructuration du sommeil. Enfin, il y a des effets périphériques comme les relâchements musculaires qui sont néfastes au point de vue de l'équilibre, avec l'augmentation du risque de chute…".
Le sevrage des benzodiazépines s'effectue en plusieurs étapes : "Dans un premier temps, on va essayer de faire admettre au patient qu'avec moins de médicaments, il peut aller bien. Voire avec moins de médicaments, il peut aller mieux en terme d'autonomie, en terme de reprise, de fonctionnement cognitif, en terme même de liberté d'aller et venir, et ainsi de retrouver in fine son autonomie", détaille le Dr Paul Roux, psychiatre. Dans un deuxième temps, les patients participent à des séances de relaxation et de gym douce.
Sevrage des anxiolytiques : les bienfaits des cures thermales
Choisir la cure thermale pour se passer d'anxiolytiques, c'est ce que propose les Thermes de Saujon, en Charente-Maritime depuis 2010. La cure est une solution originale qui permet de réduire sa consommation de benzodiazépines avec un suivi très particulier.
Selon le Dr Olivier Dubois, psychiatre et médecin thermal, "les personnes qui veulent se sevrer sont généralement des personnes qui consomment des anxiolytiques depuis un certain temps. Elles ont conscience que leur état est compatible avec l'arrêt du médicament mais, pour différentes raisons : échec ultérieur, peur des effets secondaires à l'arrêt ou peur de la rechute, elles n'arrivent pas à le faire seules. Elles ont alors besoin d'être accompagnées par des professionnels". S'arrêter seul sans un soutien médical est en effet très délicat car les benzodiazépines sont des médicaments dont il est difficile de se défaire.
Durant leur séjour, les curistes sont suivis par un psychologue comportementaliste, qui leur propose des ateliers éducatifs. Il s'agit de comprendre ce qui a poussé ces personnes à consommer autant de calmants et leur expliquer les étapes du sevrage comme le précise Anne Vincent, psychologue : "On leur donne les outils à mettre en place pour ne pas tomber d'une dépendance à une autre, ce qui est souvent le cas si on remplace un médicament par un autre médicament. Ce sont des outils à la fois corporels (détente avec tout ce que cela peut comprendre), et un questionnement mental qui est de savoir comment s'autonomiser, se responsabiliser pour ne plus tomber dans cette dépendance. Il faut que les personnes apprennent à se faire confiance, et du coup ne plus avoir besoin de médicaments pour fonctionner dans leur vie".
Les ateliers se répètent durant le séjour. L'objectif étant de permettre aux patients de mettre en place des stratégies pour accepter le sevrage et mieux réagir aux symptômes du manque. Pour le Dr Dubois, la cure est efficace grâce à l'association de trois formules : tout d'abord l'eau qui permet de compenser l'effet thérapeutique, l'environnement médicalisé qui permet au patient d'être sécurisé et enfin la thérapie cognitivo-comportementale qui permet au patient d'apprendre des outils pour mieux gérer son anxiété.
Depuis la mise en place de cette prise en charge originale de la dépendance, les résultats sont positifs. Une étude a montré que la moitié des curistes arrête leur consommation d'anxiolytiques dans les trois mois qui suivent la cure.
Benzodiazépines : l'altération de la qualité du sommeil
Grâce à leur effet sédatif, les benzodiazépines ont tendance à favoriser l'endormissement. De nombreux patients ont donc l'impression de mieux dormir en prenant ces médicaments. Mais la réalité est tout autre. Certes, ils dorment plus, mais aussi beaucoup plus mal.
Pour le Dr Nicolas Juenet, médecin spécialiste du sommeil, les benzodiazépines ne sont en effet pas sans conséquence sur la qualité du sommeil : "Quand on prend des benzodiazépines, certes on a la sensation de dormir mais malheureusement on éteint tout. On n'est plus éveillé, on ne dort pas non plus… on est juste sédaté". Les somnifères entraînent un sommeil léger durant toute la nuit, déséquilibrant le sommeil naturel comportant du sommeil léger, profond puis paradoxal.
Malgré leur impact sur la santé et le sommeil, les benzodiazépines restent les anxiolytiques les plus prescrits en France. 20% des Français en ont déjà consommé.