À vos livres ! Les conseils lecture de Gérard Collard

Chaque vendredi, Gérard Collard partage ses coups de coeur lecture. Aujourd’hui, La Malédiction de la Madone, Vivre avec nos morts, Il n'y a pas de Ajar : Monologue contre l'Identité, Monsieur, Les Vilaines.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
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Des livres et moi - Chronique de Gérard Collard du 30/09
Des livres et moi - Chronique de Gérard Collard du 30/09  —  Le Mag de la Santé - France 5

La Malédiction de la Madone
Philippe Vilain
Ed. Robert Laffont, août 2022

Assunta Maresca, dite Pupetta, grandit à Naples, dans les années 1950, sous la coupe d'un père mafioso. Mais Pupetta, la "petite poupée", ne craint rien ni personne.
À dix-neuf ans, alors qu'elle participe à un concours de beauté, son destin bascule. Elle rencontre l'amour de sa vie, Pasquale Simonetti, un boss de la Camorra, qui tombe sous le charme de cette Napolitaine sulfureuse. Le mariage est vite officialisé et rien ne peut contrarier le bonheur de ce couple. Si ce n'est l'assassinat de Pasquale, quatre-vingts jours après la cérémonie.
Pour Pupetta, l'heure de la vendetta a sonné. Son histoire ne cesse alors d'affoler la rumeur de la ville, car cette Madone vengeresse incarne à la fois le courage et l'honneur, la passion et l'héroïsme, mais également toute l'ambiguïté de Naples, à feu et à sang.

Inspirée de faits réels, La Malédiction de la Madone est le portrait fidèle et fascinant de cette pasionaria autant vénérée que redoutée.

Vivre avec nos morts
Delphine Horvilleur
Ed. Grasset, mars 2021

Tant de fois je me suis tenue avec des mourants et avec leurs familles. Tant de fois j’ai pris la parole à des enterrements, puis entendu les hommages de fils et de filles endeuillés, de parents dévastés, de conjoints détruits, d’amis anéantis…"

Etre rabbin, c’est vivre avec la mort  : celle des autres, celle des vôtres. Mais c’est surtout transmuer cette mort en leçon de vie pour ceux qui restent : "Savoir raconter ce qui fut mille fois dit, mais donner à celui qui entend l’histoire pour la première fois des clefs inédites pour appréhender la sienne. Telle est ma fonction. Je me tiens aux côtés d’hommes et de femmes qui, aux moments charnières de leurs vies, ont besoin de récits". 

À travers onze chapitres, Delphine Horvilleur superpose trois dimensions, comme trois fils étroitement tressés : le récit, la réflexion et la confession. Le récit d'une vie interrompue (célèbre ou anonyme), la manière de donner sens à cette mort à travers telle ou telle exégèse des textes sacrés, et l’évocation d’une blessure intime ou la remémoration d’un épisode autobiographique dont elle a réveillé le souvenir enseveli.

Nous vivons tous avec des fantômes : "Ceux de nos histoires personnelles, familiales ou collectives, ceux des nations qui nous ont vu naître, des cultures qui nous abritent, des histoires qu’on nous a racontées ou tues, et parfois des langues que nous parlons". Les récits sacrés ouvrent un passage entre les vivants et les morts. "Le rôle d’un conteur est de se tenir à la porte pour s’assurer qu’elle reste ouverte" et de permettre à chacun de faire la paix avec ses fantômes…

Il n'y a pas de Ajar : Monologue contre l'Identité
Delphine Horvilleur
Ed. Grasset, septembre 2022

L’étau des obsessions identitaires, des tribalismes d’exclusion et des compétitions victimaires se resserre autour de nous. Il est vissé chaque jour par tous ceux qui défendent l’idée d’un "purement soi", et d’une affiliation "authentique" à la nation, l’ethnie ou la religion. Nous étouffons et pourtant, depuis des années, un homme détient, d’après l’auteure, une clé d’émancipation : Emile Ajar. 

Cet homme n’existe pas… Il est une entourloupe littéraire, le nom que Romain Gary utilisait pour démontrer qu’on n’est pas que ce que l’on dit qu’on est, qu’il existe toujours une possibilité de se réinventer par la force de la fiction et la possibilité qu’offre le texte de se glisser dans la peau d’un autre. J’ai imaginé à partir de lui un monologue contre l’identité, un seul-en-scène qui s’en prend violemment à toutes les obsessions identitaires du moment.  
 
Dans le texte, un homme (joué sur scène par une femme…) affirme qu’il est Abraham Ajar, le fils d’Emile, rejeton d’une entourloupe littéraire. Il demande ainsi au lecteur/spectateur qui lui rend visite dans une cave, le célèbre "trou juif" de La Vie devant soi : es-tu l’enfant de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ?  Es-tu sûr de l’identité que tu prétends incarner  ? 
En s’adressant directement à un mystérieux interlocuteur, Abraham Ajar revisite l’univers de Romain Gary, mais aussi celui de la kabbale, de la Bible, de l’humour juif… ou encore les débats politiques d’aujourd’hui (nationalisme, transidentité, antisionisme, obsession du genre ou politique des identités, appropriation culturelle…). 
 
Le texte de la pièce est précédé d'une préface Delphine Horvilleur sur Romain Gary et son œuvre. Dans chacun des livres de Gary se cachent des "dibbouks", des fantômes qui semblent s’échapper de vieux contes yiddish, ceux d’une mère dont les rêves l’ont construit, ceux d’un père dont il invente l’identité, les revenants d’une Europe détruite et des cendres de la Shoah, ou l’injonction d’être un "mentsch", un homme à la hauteur de l’Histoire. 

"J’avais 6 ans lorsque Gary s’est suicidé, l’âge où j’apprenais à lire et à écrire. Il m’a souvent semblé, dans ma vie de lectrice puis d’écrivaine que Gary était un de mes "dibbouks" personnels… Et que je ne cessais de redécouvrir ce qu’il a su magistralement démontrer : l’écriture est une stratégie de survie. Seule la fiction de soi, la réinvention permanente de notre identité est capable de nous sauver. L’identité figée, celle de ceux qui ont fini de dire qui ils sont, est la mort de notre humanité". 

Monsieur
Marie-Ange Guillaume et Henri Galeron
Ed. Les Grandes Personnes, août 2011

"J'habite chez mon chat. Monsieur me sous-loue un oreiller mais tout le reste lui appartient : les plantes vertes, la poubelle, les piles de pulls dans l'armoire, les radiateurs, le canapé, les parties dodues des copains assis sur le canapé, le frigo, la gamelle du chien, l'ordinateur - et la souris, bien sûr. En échange de quelques menus services (transport de litière, ouverture de boîtes, manucure, pédicure), Monsieur accepte de me tenir chaud l'hiver et aussi l'été..." Ainsi commence l'histoire d'un être envahissant et plein de mystère, dont Marie-Ange Guillaume nous brosse, avec style, un portrait fin, tour à tour sensible et railleur, magnifiquement mis en images par un Henri Galeron surréaliste et complice.

Les Vilaines
Camila Sosa Villada et Laura Alcoba
Ed. Points, janvier 2021

La Tante Encarna porte tout son poids sur ses talons aiguilles au cours des nuits de la zone rouge du parc Sarmiento, à Córdoba, en Argentine. La Tante – gourou, mère protectrice avec des seins gonflés d’huile de moteur d’avion – partage sa vie avec d’autres membres de la communauté trans, sa sororité d’orphelines, résistant aux bottes des flics et des clients, entre échanges sur les derniers feuilletons télé brésiliens, les rêves inavouables, amour, humour et aussi des souvenirs qui rentrent tous dans un petit sac à main en plastique bon marché. Une nuit, entre branches sèches et roseaux épineux, elles trouvent un bébé abandonné qu’elles adoptent clandestinement. Elles l’appelleront Éclat des Yeux.

Premier roman fulgurant, sans misérabilisme, sans auto-compassion, Les Vilaines raconte la fureur et la fête d’être trans. Avec un langage qui est mémoire, invention, tendresse et sang, ce livre est un conte de fées et de terreur, un portrait de groupe, une relecture de la littérature fantastique, un manifeste explosif qui nous fait ressentir la douleur et la force de survie d’un groupe de femmes qui auraient voulu devenir reines mais ont souvent fini dans un fossé. Un texte qu’on souhaite faire lire au monde entier qui nous rappelle que "ce que la nature ne te donne pas, l’enfer te le prête".