Les compléments alimentaires, vrais ou faux médicaments ?
Les compléments alimentaires sont-ils de vrais ou faux médicaments ? Cette question fait débat et les avis divergent. Le Pr Alain Astier, pharmacien, nous éclaire sur les confusions qui entourent les compléments alimentaires.
Qu'est-ce qu'un complément alimentaire ?
Les compléments alimentaires ont été initialement définis en France par le décret du 15 avril 1996 comme des " produits destinés à être ingérés en complément de l'alimentation courante afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers ". Cette définition concernant les vitamines et les minéraux a donc fait légitimement de ces produits des aliments puisqu'ils n'ont d'autre but que nutritionnel.
Cependant, sous la pression des lobbies agroalimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques ainsi que de la vision primant tout de "liberté de commerce en Europe", la directive européenne de 2002, traduite en droit français en 2006, stipule que "les compléments alimentaires ont pour but de compléter le régime alimentaire normal et constituent une source concentrée de nutriments ou d'autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique, seuls ou combinés, commercialisés sous forme de doses destinées à être prises en unités mesurées de faible quantité ".
On voit donc le glissement sémantique introduit par "physiologique" (comme si la nutrition n'était pas physiologique par elle-même) dans lequel se sont engouffrés de nombreux fabricants, jonglant sur l'ambiguïté compléments alimentaires, médicaments, la notion d'effet physiologique et pas pharmacologique et aussi produits d'origine végétale (plantes...) donc naturels ! On parle ainsi d'alicaments.
Les compléments alimentaires sont accessibles en libre service dans les pharmacies. Il n'y a généralement aucun conseil. Des gélules de pissenlit à côté de gélules de racines d'ortie, deux produits a priori pour des indications identiques, mais l'un est considéré comme un "complément alimentaire", qui "contribue à purifier l'organisme et à faciliter l'élimination de l'eau", l'autre comme un "médicament à base de plantes", contre les "troubles de la miction d'origine prostatique". Or une "indication thérapeutique" n'est "traditionnellement utilisée (...) qu'après diagnostic médical".
Confusions autour des compléments alimentaires
Les confusions autour des compléments alimentaires sont donc bien présentes. Preuve en est : on peut également trouver des gélules marquées "articulations" qualifiées de "complément alimentaire à base de nutriments et plantes" contenant de l'harpagophytum (une plante) mais surtout des produits du type glucosamine et chondroitine sulfate et du zinc avec des commentaires : "contribue à maintenir la santé des articulations et au maintien d"une ossature normale".
Avec ce genre de produits, nous sommes typiquement dans l'ambiguïté du discours. On ne traite pas mais on maintient un état. Dans ce cas, il ne s'agit donc pas d'un médicament car un médicament est défini comme "présentant des propriétés curatives ou préventives vis-à-vis des maladies".
Un problème de santé publique ?
Cela pose un problème de santé publique mais pas dans tous les cas heureusement. Il s'agit d'un vrai problème. Souvent les compléments alimentaires sont vendus sur Internet dont on connaît le caractère dangereux en terme de qualité. De plus, plusieurs de ces produits peuvent poser des problèmes notamment d'interaction avec des médicaments, provoquer des surdosages (vitamine C, oligoéléments) ou avoir des effets indésirables propres.
Le millepertuis est présenté par exemple comme un antidépresseur léger. Il est proposé sous deux conditionnements. L'un présenté comme "médicament de phytothérapie" et l'autre comme "complément alimentaire à base de plantes". Celui présenté comme médicament propose une indication mais pas d'avertissement. L'autre ne présente aucune indication mais précise : "risques d'interactions médicamenteuses". Le produit est indentique mais le statut affiché n'est pas le même : avec ou sans indications, avec ou sans précautions d'emploi. Mais toujours aussi potentiellement dangereux !
Il est donc difficile pour le client de s'y retrouver. Quant au conseil du pharmacien, au moment de l'achat, le pharmacien ne fait pas forcément attention au fait que vous prenez deux fois du millepertuis. Il indique simplement de faire attention avec le soleil.
L'alimentation est considérée depuis la plus haute Antiquité comme un facteur important, voire déterminant, de la santé. Recevant de plus en plus d'informations sur les vertus prêtées aux aliments, les consommateurs sont désormais très sensibilisés aux discours de "naturel, de traitement par les plantes" et réceptifs aux promesses santé des aliments et des compléments alimentaires. Ceci est d'autant plus prégnant que les scandales récents sur plusieurs médicaments les font douter.
Un marché en plein essor
En plus, ils ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale. Ce marché est l'objet d'enjeux industriels et d'une âpre concurrence commerciale qui sont une source évidente de dérapages, quant à la réalité des promesses. Le marché 2013 était de 1,35 milliard d'euros.
Les académies de médecine et de pharmacie ont produit un rapport circonstancié commun sur tous les aspects potentiellement délétères des compléments alimentaires. Ils proposent des pistes d'amélioration et il y a actuellement des réflexions conduites au niveau européen sur ceux-ci.
Il faut préciser que la France est assez en pointe à ce niveau. L'ANSM s'en préoccupe aussi avec des recommandations et des incitations à la prudence. Les sociétés savantes de nutritionnistes incitent également à de vraies réflexions et une prise en charge réelle des problématiques sous-jacentes. Mais les enjeux économiques sont importants...