Médicaments : quelles interactions avec les aliments ?
C'est un quasi-rituel dans toutes les pharmacies de France. Quand il vous dispense une ordonnance, le pharmacien vous explique toujours que le médicament est à prendre à jeun, pendant le repas ou quelques heures après le repas…. Pourquoi ces instructions ? Quelles sont les conséquences si on ne suit pas ces instructions ? Les explications avec le Dr Alain Astier, pharmacien.
Pour les médicaments pris par voie orale, il faut toujours penser aux interactions avec l'alimentation. On dit souvent qu'il faut faire attention en associant deux médicaments ensemble, par crainte des interactions médicamenteuses. Mais les interactions aliments/médicaments sont finalement plus fréquentes et moins bien connues. Il est donc important de bien les connaître et de suivre scrupuleusement les règles à observer lors d'une prise orale de médicaments en fonction de l'alimentation. Le problème est que ces interactions sont très complexes.
Les conséquences d'une interaction aliments/médicaments
Il est très important de suivre les instructions des pharmaciens pour deux types de raisons. Il faut d'abord se rappeler que, pour agir, un médicament doit être absorbé le mieux possible pour que le principe actif puisse passer dans le sang et agir à l'endroit prévu comme souhaité. On parle alors de biodisponibilité. Cette biodisponibilité peut être très bonne (100% ou très proche de 100% ; on dit qu'elle est totale) ou partielle, certains médicaments étant très peu absorbés.
L'absorption d'un médicament va donc être dépendant de facteurs propres intrinsèques (sa structure et ses propriétés physico-chimiques), mais aussi de facteurs extrinsèques liés au patient (âge, position du corps, activité physique, etc) et aussi pour certains, de la prise d'aliments ou non, voire de la nature des aliments pris (gras, produits laitiers par exemple).
L'alimentation peut augmenter ou diminuer l'absorption d'un médicament, parfois de façon très importante. Ceci signifie que, pour une quantité prise par le patient par exemple un comprimé, par rapport à la quantité qui serait absorbée à jeun (l'estomac vide), avec de l'alimentation cette quantité sera par exemple diminuée de 50%. Cela est bien sûr très important pour les médicaments dits à marge thérapeutique étroite pour lesquels une petite variation de dose absorbée peut induire soit une inefficacité, soit une toxicité.
Par exemple la lévothyroxine prescrite dans les troubles de la thyroïde a fait couler de l'encre avec ses génériques accusés d'inefficacité. Il est impératif de prendre ce médicament trente minutes avant le petit déjeuner car il peut s'absorber sur les fibres alimentaires (du pain par exemple), il sera donc moins absorbé et perdra de son efficacité. Si on le prend pendant le petit déjeuner, le lendemain un jour avec des céréales, le lendemain avec de la brioche, on aura de fortes variations des concentrations dans le sang.
Une autre raison, aussi très importante, notamment pour le confort des patients, et aussi pour limiter ce que l'on appelle une mauvaise adhérence au traitement, c'est la mauvaise tolérance gastro-intestinale de certains médicaments.
Les médicaments à risque d'interaction avec les aliments
Parmi les médicaments qui peuvent avoir des interactions avec les aliments, on peut citer des médicaments très utilisés chez les femmes ménopausées qui sont les biphosphonates, c'est-à-dire des médicaments destinés à diminuer la perte osseuse fréquente dans cette situation et qui peut induire des fractures (par exemple l'alendronate). Ces médicaments sont déjà très mal absorbés (1-2%) mais si on les prend avec une alimentation contenant notamment des produits laitiers, plus de la moitié ne sera pas absorbée par formation d'un complexe avec le calcium (chelates).
La même chose se produit avec des antibiotiques comme les quinolones (ciprofloxacine) avec une baisse de plus de 30% de la quantité absorbée et de 50% de la concentration maximale atteinte. Pour un antibiotique, cela voudra dire que l'on risque fortement de ne pas détruire toutes les bactéries et, pire, les rendre résistantes !
Dans ces deux exemples, c'est davantage la composition des aliments que la quantité qui est importante. Plutôt que de donner des conseils (ne pas prendre ce médicament avec ce type d'aliment...), il est plus facile de dire au patient de prendre le médicament avant le repas (ou deux heures après).
Un exemple dans lequel il est dangereux de prendre un médicament avec certains aliments, c'est les antivitamines K (destinés à fluidifier le sang). Si on les prend avec un repas qui contient certains aliments riches en vitamine K (choux, brocolis, épinards, avocats, persil, laitue, abats), on diminuera fortement leur efficacité et le patient risque un accident thrombotique. C'est pourquoi il faut éviter, pour ces patients, de manger trop de ces aliments…
L'influence de l'alimentation sur l'action des médicaments
L'augmentation des taux sanguins avec l'alimentation peut être souhaitable comme pour l'atovaquone, un médicament utilisé dans la prévention du paludisme et que nous pouvons prendre lors d'un voyage dans les pays très impaludés. Il faut le prendre une fois par jour avec un repas un peu gras car sa biodisponibilité est multipliée par 2,5. Il sera plus efficace.
L'alimentation peut aussi ralentir la vitesse d'absorption, donc le médicament agira moins vite, ce qui peut être très embêtant par exemple pour un antalgique.
Ces médicaments dangereux avec le jus de pamplemousse
Il est bien connu que prendre de la simvastatine, une statine très largement utilisée comme hypocholestérolémiant, avec un jus de pamplemousse, peut multiplier par 15 les taux sanguins et causer de graves troubles musculaires (rhabdomyolyse). Le danger existe aussi avec des médicaments contre le rejet après une greffe d'organe comme la ciclosporine avec un risque de toxicité rénale très important. Si les greffés sont bien informés, il n'en est pas forcément de même pour les patients sous simvastatine. Mais il n'y a pas de problème avec le jus d'orange, ni le jus de pommes.
La tolérance digestive des médicaments
Pour certains médicaments mal tolérés lorsqu'ils sont pris à jeun, il est préférable de les prendre pendant ou juste après le repas pour améliorer leur tolérance. Un très bon exemple est la metformine, qui est la base du traitement des diabètes de type II (dits gras) avec le régime et l'exercice physique. Ce très bon médicament donne souvent des diarrhées, des troubles gastriques qui font que le patient ne les prend plus ou pas régulièrement. Cela est bien sûr très problématique car leur glycémie sera mal contrôlée. La seule recommandation de prise avec un repas peut souvent suffire à régler le problème. Souvent une mauvaise adhérence aux traitements provient d'effets indésirables.
Il est fondamental de bien lire les notices et de suivre les recommandations des prescripteurs et des pharmaciens. Ne pas hésiter à leur demander en cas de doute.
On a aussi d'autres exemples d'interactions aliments médicaments à marge thérapeutique étroite dans le domaine des anticancéreux ou des médicaments du sida qui peuvent être dramatiques. C'est un domaine passionnant pour des tas de raisons. Un autre problème très compliqué concerne les interactions médicaments et compléments alimentaires souvent vendus en pharmacie.