Un diurétique pour prévenir l'autisme ?

L'administration d'un diurétique avant l'accouchement pourrait réduire les risques d'autisme de l'enfant, selon des travaux d'une équipe française réalisés sur l'animal. Un compte-rendu de ces recherches a été publié le 6 février dans la revue Science.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Un diurétique pour prévenir l'autisme ?

La phase clef de l'accouchement

La communauté scientifique considère aujourd'hui que les troubles du spectre autistique ont une origine essentiellement (sinon exclusivement) biologique, associée à une mauvaise connectivité de certaines zones cérébrales. Les mécanismes à l’origine de l’apparition de ces troubles restent mal connus, mais semblent survenir de façon très précoce - dans la très petite enfance, voire in utero - rendant d'autant plus difficiles les études scientifiques.

En 2006, des chercheurs de l'Inserm coordonnés par les professeurs Ben-Ari et Tyzio avaient découvert qu'au stade fœtal, les neurones cérébraux étaient à la fois très actifs, et présentaient de très fortes concentrations de chlore. Ils ont également constaté que, juste avant la naissance, cette activité neuronale et cette concentration en chlore chutaient brutalement.

Les biologistes avaient alors formulé l'hypothèse que l'ocytocine - une hormone indispensable pour que le travail d’accouchement puisse avoir lieu, sécrétée en grande quantité peu avant le terme - pouvait être responsable de ce phénomène. En administrant aux souris des composés empêchant l'activité de l’ocytocyne, l’équipe de l'Inserm a pu valider cette hypothèse. Mais les scientifiques observèrent également... que les souriceaux nés avec un GABA "en mode excitateur" présentaient de nombreux troubles neurologiques (épilepsie, etc.).

Selon toute vraisemblance, conclurent-ils alors, "l'ocytocine maternelle […] augmente la résistance des neurones à différentes agressions qui peuvent survenir lors de l'accouchement". Le maintien de l'activité neuronale primitive et un taux élevé de chlore semblaient tout au moins augmenter le risque de troubles neurologiques.

Agir sur le taux de chlore pour diminuer les troubles autistiques

En 2009, à l’occasion d’une discussion informelle, Eric Lemonnier, clinicien au CHRU de Brest, avait fait remarquer au professeur Yehezkel Ben-Ari que le valium n’était pas prescrit aux enfants souffrant d’autisme car ils deviennent, selon les parents, plus agités. D’un point de vue chimique, cet effet du valium sur le comportement pouvait s’expliquer par une interaction avec un composé chimique qui aurait été présent en plus forte concentration dans les neurones de ces patients... Parmi les candidats à l’interaction avec le valium pouvait se trouver, en bonne position, le chlore.

Les deux chercheurs ont alors cherché à tester un composé modifiant les taux de chlore dans les neurones afin de déterminer si cela pouvait améliorer les troubles autistiques. Un essai pilote sur 5 enfants a été mis en place en 2010 avec le bumétanide, un diurétique déjà sur le marché (voir encadré). A l’issue de premiers résultats encourageants, les chercheurs ont démarré un essai randomisé en double aveugle(1) sur 60 enfants autistes et Asperger âgés de 3 à 11 ans, essai dont les résultats furent également concluants : le bumétanide, administré durant quatre mois, parvint en effet à réduire de façon significative la sévérité des troubles des patients(2).

Pourquoi un diurétique ?

Comme l'expliquait Ben-Ari en 2011, dans le cadre de ses travaux sur l'épilepsie, "certains diurétiques utilisés depuis des décennies pour réduire le chlore au niveau rénal agissent en bloquant des co-transporteurs du chlore qui sont présents au niveau des reins."

"Les mêmes co-transporteurs sont aussi présents dans le cerveau. D’où l’idée de tester leurs effets sur les neurones épileptiques"... et, ultérieurement, chez les patients atteints d'un trouble autistique.

Administrer le traitement avant l'accouchement

En dépit de l’efficacité du traitement élaboré par les chercheurs… l’hypothèse d’une haute concentration de chlore dans les neurones des individus autistes restait à confirmer.

Le professeur Ben-Ari a donc élaboré de nouvelles expériences sur des souris destinées à mettre au monde des souriceaux présentant différentes formes d’autisme (voir encadré).

Les biologistes ont enregistré l’activité des neurones avant et immédiatement après la naissance, afin d’observer l’évolution du taux de chlore. Leurs travaux ont révélé que les neurones des souriceaux présentaient le même taux de chlore avant et après leur naissance.

Dans une seconde phase de l’expérience, les biologistes ont alors administré un traitement diurétique aux souris 24 heures avant la mise bas, afin de provoquer la diminution du taux de chlore.

D’après l’équipe de recherche, le traitement anténatal "restaure des activités cérébrales quasi normales et corrige le comportement “autiste” chez l’animal une fois devenu adulte".

"Ces résultats valident donc l’hypothèse de travail qui nous a amené au traitement mis au point en 2012″ souligne le professeur Ben-Ari dans un communiqué. "Les taux de chlore pendant l’accouchement sont déterminants dans l’apparition du syndrome autistique"

"Ces données suggèrent [par ailleurs] que l’ocytocine, [qui agit] sur les taux de chlore pendant la naissance, module/contrôle l’expression du syndrome autistique", poursuit le scientifique.

L’ensemble de ces observations suggère qu’un traitement le plus précoce possible est indispensable pour prévenir autant que possible la maladie.

En outre, étant donné le rôle de l’ocytocine dans le déclenchement du travail, Yehezkel Ben-Ari note que, "même s’il est vrai que les données épidémiologiques suggérant que des césariennes programmées pouvaient accroître l’incidence de l’autisme sont controversées, il n’en reste pas moins que ces études devraient être poursuivies et approfondies afin de confirmer ou infirmer cette relation, qui reste possible."

Deux modèles animaux ont été utilisés dans ces expériences. Dans le premier, l’autisme a une origine génétique (syndrome de l’X Fragile). Dans le second, le syndrome autistique est associé à une malformation induite par l’injection de valproate de sodium à la souris en gestation.

Source : Oxytocin mediated GABA inhibition during delivery attenuates autism pathogenesis in rodent offspring.
 R. Tyzio, Y. Ben-Ari, Science, 7 fev.2014 doi:10.1126/science.1247190

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(1) Un essai randomisé en double aveugle consiste à administrer à deux groupes de patients composés de façon aléatoire (randomisé) soit le traitement que l’on souhaite tester, soit un "faux traitement" (ou un traitement déjà validé, qui sert de référence). Afin d’éviter tout biais psychologique, ni les patients ni les médecins ne savent quelles substances ils administrent – les seuls à connaître qui reçoit les bons traitements sont des membres de l’équipe sans contact direct avec les patients ou les médecins.

(2) Comme détaillé en 2012 par l’équipe de l’Inserm, les enfants ont été suivis pendant 4 mois. Un groupe a reçu le traitement diurétique et le deuxième groupe un placebo pendant 3 mois. Le dernier mois, aucun traitement n’a été donné. La sévérité des troubles autistiques des enfants a été évaluée au démarrage de l’essai, à la fin du traitement, c’est-à-dire au bout de 90 jours et un mois après la fin de ce dernier. Après 90 jours de traitement, le score moyen au test CARS (Childhood Autism Rating Scale) des enfants traités au bumétanide s’est amélioré de façon significative. La sévérité des troubles autistiques du groupe traité passe du niveau élevé (>36,5) à moyen (Clinical Global Impressions). A l’arrêt du traitement, certains troubles sont toutefois réapparus.

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