Enfants en danger : la maltraitance touche tous les milieux
Dans les pays à hauts revenus, 10% des enfants souffrent de maltraitance, selon une étude publiée par la revue The Lancet en 2008. Coups, agressions sexuelles, humiliations répétées et délaissement : ces drames se produisent même dans les familles favorisées qui se préservent plus facilement des investigations.
Homicide. La mère et le beau-père de Typhaine viennent d'être condamnés pour avoir provoqué la mort de la petite fille de 5 ans, au terme de plusieurs mois de calvaire. Enzo, lui avait 2 ans… et Marina, 8 ans. Leurs prénoms sont connus puisque les procès de leurs parents ont fait la "une" des médias... tout comme la terrible affaire des bébés congelés. Mais faute d'une véritable prise de conscience de ce que traduisent ces drames, d'autres vies continuent à s'arrêter trop tôt, souvent loin des regards.
"Il faut sortir de cette perception trop fréquente d'une juxtaposition de faits divers, interpelle le Dr Anne Tursz, pédiatre et épidémiologiste à l'Inserm*. Il s'agit d'un véritable problème de santé publique." La définition de la maltraitance elle-même est complexe. Celle d'une vaste étude de la revue The Lancet inclut "tout acte commis directement ou par omission par un parent ou un autre gardien, qui a pour conséquence un dommage ou la potentialité d'un dommage ou la menace d'un dommage pour un enfant, ce dommage n'ayant pas besoin d’être intentionnel." Et de conclure qu'un enfant sur dix souffrirait de maltraitance dans les pays à hauts revenus comme la France.
Maltraitance : des estimations difficiles
Les définitions des instances françaises et plus précisément de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, sont plus restrictives. Elles considèrent qu'il y a seulement "risque" de maltraitance pour un enfant, même si ses conditions d'existence mettent déjà "en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, sans pour autant être maltraité". Ceci, au sens strict, signifie qu'il est "victime de violences physiques, d'abus sexuels, de violence psychologique, de négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique." Les deux définitions réunies définissent "l'enfance en danger".
"Ce flottement sur les "frontières" rendent les estimations difficiles, poursuit le Dr Tursz. Une solution serait de compiler les données du système judiciaire, de l'aide sociale à l'enfance, des structures de soins et de l'Education nationale, mais l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned), créé en 2004, n'y est pas encore parvenu."
Pour tenter de combler ce vide, l'épidémiologiste a donc enquêté dans trois régions françaises sur les homicides de nourrissons avant leur premier anniversaire. Son étude a révélé 15 fois plus d'homicides que le recensement officiel... Cela représenterait, à l'échelle nationale, 250 morts d'enfants de moins de un an chaque année.
Sortir des préjugés
"Toutes les classes sociales sont touchées, insiste le Dr Tursz. Car la cause de la maltraitance n'est pas le manque d'argent, mais l'incapacité à aimer un bébé et à gérer l'épreuve que représentent notamment les pleurs pendant les premiers mois de vie." Et cette difficulté vient, par exemple, de la séparation à la naissance en cas de grande prématurité, d'une dépression post-partum ou d'une histoire affective personnelle fragile. Un passé d'enfant maltraité apparaît aussi fréquemment, soulignant l'urgence d'un meilleur dépistage et d'une meilleure prise en charge des familles pour éviter l'engrenage d'une génération à l'autre. Car les menaces ne disparaissent pas après 12 mois, et continuent à concerner tous les milieux.
"Si les familles défavorisées sont souvent sur-représentées dans les statistiques, c'est surtout parce qu'elles sont plus l'objet de l'intérêt des services sociaux", précise l'épidémiologiste. Il est plus facile aux familles mieux "armées" d'éviter les investigations, comme le montre l'histoire de Céline Raphaël. La vigilance doit donc être globalement renforcée.
Médecins, enseignants, services sociaux, justice... il reste difficile de mobiliser efficacement toute la chaîne qui permettrait de protéger ces jeunes victimes. Pour la petite Marina, les alertes répétées de son institutrice, puis de son directeur d'école et même de l'hôpital du Mans, où elle a été soignée pour des brûlures graves au pied, sont restées vaines. Espérons que les Assises nationales de la protection de l'enfance qui se tiennent les 11 et 12 février 2013, dans cette même ville, apporteront des réponses efficaces à l'interrogation qui les anime : "Savons-nous protéger nos enfants ?".
*Le Dr Anne Tursz, pédiatre et épidémiologiste à l'Inserm, est l'auteure de l'ouvrage intitulé "Les Oubliés : Enfants maltraités en France et par la France" (Paris 2010, Ed. Seuil)
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