Le cancer expliqué par l'évolution du génome humain
Pourquoi des gènes dangereux à l'origine de cancers et de maladies génétiques ont-ils été conservés au fil de l'évolution ? L'équipe d'Hervé Isambert, en partenariat avec celle de Jacques Camonis, apportent une réponse. Leur recherche, publiée en ligne dans Cell Reports du 15 novembre 2012, montre que ces gènes ont été multipliés et conservés en raison de leur dangerosité à la suite d'un accident génétique majeur, une duplication globale du génome.
Pour comprendre l'impact de cette étude, il faut rappeler comment se forment les cancers. Tout commence par l'altération du matériel génétique des cellules de notre organisme.
Si l'un des gènes régulant les processus de contrôle de la prolifération de cette cellule est altéré, alors elle va proliférer de façon incontrôlée et pourra devenir un cancer. Normalement le corps humain est capable de réguler ou de compenser ces altérations génétiques. Notamment parce que dans notre patrimoine génétique, la plupart des gènes sont présents en deux exemplaires : l'un hérité de notre mère et l'autre de notre père. Ainsi lorsqu'un des deux perd sa fonction, suite à une mutation génétique, l'autre constitue une sorte de sauvegarde.
Alors comment expliquer que notre génome ne sache pas toujours nous protéger... ? C'est que certains gènes sont plus "dangereux" que les autres et conduisent à un cancer ou une maladie génétique grave dès qu'une seule des deux copies est mutée.
Mais
comment
ces
gènes
"
dangereux
"
ont‐ils
été
multipliés
et
conservés
au
fil
de
l'évolution,
malgré
les
risques
qu'ils
représentent
?
C'est
la
question
que
se
sont
posée
conjointement
deux
équipes
de
l'Institut
Curie,
celle
d'Hervé
Isambert,
physicien, et celle
de
Jacques
Camonis,
biologiste, tous deux directeurs de
recherche
au CNRS.
Pour comprendre cette histoire, il faut remonter aux origines de la formation des génomes des vertébrés. Tout serait lié aux doublements de notre génome au moment de notre séparation des invertébrés.
Il y a 500 millions d'années, vivait un petit invertébré marin, l'ancêtre commun à tous les vertébrés. "Cette lignée a entièrement dupliqué son génome deux fois de suite et a survécu à ces deux accidents génétiques majeurs". C'est à partir de là que des organismes vivants se sont trouvés avec jusqu'à quatre exemplaires de tous leurs gènes. Mais, alors que la plupart de ces gènes supplémentaires ont ensuite été perdus au cours de l'évolution, "les gènes les plus "dangereux" ont été davantage conservés, car ils étaient plus difficiles à supprimer", explique Hervé Isambert.
Entre un quart et un tiers de nos gènes seraient directement issus de ces deux duplications du génome à l'origine des vertébrés. Ce sont les mutations de ces gènes - appelés ohnologues - qui sont les plus susceptibles de provoquer des maladies comme les cancers ou les maladies génétiques.
Ces résultats sur l'évolution de notre génome, depuis l'origine même des vertébrés, ouvrent aujourd'hui la voie à la découverte de nouveaux gènes impliqués dans le développement des cancers.
Etude de référence : "On the Expansion of "Dangerous" Gene Repertoires by Whole-Genome Duplications in Early Vertebrates", Param Priya Singh, Séverine Affeldt, Ilaria Cascone, Rasim Selimoglu, Jacques Camonis, Hervé Isambert, Cell Reports, 15 November 2012, 10.1016/j.celrep.2012.09.034
En savoir plus
- Institut Curie
"Evolution : pourquoi les gènes dangereux ont-ils été conservés ?", communiqué du 16 novembre 2012.