Le tamoxifène autorisé en traitement préventif en Grande-Bretagne
Médicament fortement prescrit dans le traitement du cancer du sein, le tamoxifène est également employé aux Etats-Unis en traitement préventif. Le Service national de santé britannique (National Health Service - NHS) s'apprête quant à lui à réviser ses préconisations en la matière, autorisant cette stratégie de prévention "pour les femmes ayant d'importants antécédents familiaux". Une option pourtant écartée de longue date par les autres membres de l'Union européenne, comme nous l'explique le Dr Suzette Delaloge, oncologue à l'Institut Gustave Roussy de Villejuif.
- Pour quelle raison l'Union européenne - à l'exception désormais de l'un de ses états membres - interdit-elle l'emploi du tamoxifène à des fins préventives ?
Dr Suzette Delaloge : "Le tamoxifène a fait l'objet de cinq grands essais randomisés, en prévention pure, chez des femmes à risque moyen à élevé. Ce traitement diminuait le risque de cancer du sein de 25 à 50 %, cette dernière valeur renvoyant à un essai réalisé par les Etats-Unis.
"Les essais européens se sont pour leur part révélés négatifs dans deux cas, un troisième ayant conclu à une diminution du risque de 33 %. Au vu de ces résultats, l'Union européenne a toujours considéré que le rapport bénéfice-risque n'était pas en faveur de la prescription du tamoxifène."
- Quels sont les risques spécifiques identifiés du tamoxifène ?
Dr Suzette Delaloge : "Le tamoxifène entraîne un sur-risque de thrombose veineuse profonde et d'embolie pulmonaire de l'ordre de 2-3 % sur 5 ans. Ce qui est infiniment supérieur aux pilules de 3ème génération qui font débat actuellement ! Par ailleurs, il entraîne un sur-risque cardiovasculaire notable (infarctus et AVC), de même que de cancer de l'endomètre.
"Le tamoxifène entraîne en outre une prise de poids. Pour toutes ces raisons, il me semble très difficile de revenir sur l'interdiction du tamoxifène à des fins préventives, sinon dans le cas de femmes à très haut risque de cancer. Pourtant, même dans ce cas, il n'y a pas de démonstration de bénéfice clair à ce jour, les essais publiés ne distinguant pas les groupes de risques."
- Pourquoi les positions des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne divergent-elles si sensiblement de celles de l'Union européenne sur ce sujet ?
Dr Suzette Delaloge : "En Grande-Bretagne, il existe un fort investissement dans le dépistage et dans la prévention, l'implication étant moindre en thérapeutique des cancers : de nombreux médicaments sont autorisés en France ou en Allemagne, qui ne le sont pas outre-Manche.
"Il faut rappeler aussi que la recevabilité par la population des pratiques de prévention est très différente entre nos pays !
"Par exemple, en France, une étude randomisée unique au monde est ouverte depuis 4 ans (LIBER) [pour étudier les effets du letrozole à destination des femmes possédant des mutations augmentant leur prédisposition au cancer du sein] : cette étude va s'arrêter dans quelques mois en ayant inclus moins d'un tiers des femmes initialement prévues ! Le taux de refus est énorme alors que nous nous adressons aux populations de plus fort risque possible !"
- Une réévaluation du tamoxifène n'est donc pas à l'ordre du jour de ce côté de la Manche ?
Dr Suzette Delaloge : "Je vois mal la France revenir sur cette question sans donnée additionnelle et dans le contexte épouvantable des pilules. Plus généralement, en l'absence de nouvelles données, rien ne justifie a priori que l'Union européenne change ses préconisations."
En savoir plus :
- National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE)
Organisme dépendant de l'English National Health Service (NHS), présentant une version préliminaire des nouvelles préconisations en matière de cancer du sein.