Neuro-imagerie : entre foi et défiance
Les techniques de neuro-imagerie ne cessent de repousser les limites de notre connaissance du cerveau. L'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) met en garde contre d'éventuelles dérives dans l'utilisation de ces techniques, hors champ médical.
L'intérêt de l'imagerie cérébrale en médecine est immense. Des techniques comme l'IRM fonctionnelle, le scanner ou la TEP (tomographie par émission de positons) sont des outils fantastiques pour le diagnostic des maladies du cerveau. De plus, en rendant possible la distinction de groupes de neurones et de processus neurologiques impliqués dans le langage, la mémoire, l'apprentissage ou les émotions, elles permettent d'accéder à une connaissance toujours meilleure de notre cerveau. Des progrès qui devraient trouver renfort avec un nouvel appareil, attendu en France dans les centres de recherches, qui combine les avantages de l'IRM et de la TEP, et devrait repousser davantage les limites de l'imagerie en offrant des images d'une précision encore plus grande.
Un rapport qui encadre et met en garde
Comment maîtriser la tentation de détourner ces avancées de leur vocation première, à savoir le soin et la recherche médicale ? Par craintes d'éventuelles dérives, l'OPECST, qui procède à des évaluations scientifiques pour le parlement, a rendu son rapport intitulé "Impact et enjeux des nouvelles technologies d'exploration et de thérapie du cerveau". Il affirme que l'usage de ces nouvelles technologies doit absolument être plus rigoureusement encadré. Car pour Alain Claeys, député et coauteur du rapport, si le sujet des neurosciences et de l'imagerie cérébrale avait été effleuré lors de la révision des lois de bioéthique, des précisions se devaient d'être apportées.
L'OPECST s'est particulièrement intéressé à l'utilisation de l'IRM dans la neuroéconomie et le neuromarketing, deux spécialités en développement, et dans l'expertise judiciaire.
Non au neuromarketing
Le neuromarketing utilise l'IRM pour mieux comprendre la neuropsychologie des comportements d'achat et, par ce biais, optimiser les campagnes de marketing. Si les recherches destinées à comprendre le consommateur ne datent pas de l'IRM, cette technique a permis des avancées extraordinaires dans ce domaine.
Sur ce point, les prises de mesure préconisées par l'OPECST sont claires. Le rapport recommande l'interdiction pure et simple de l'IRM pour valider des campagnes publicitaires. Pour les experts, les expériences de neuromarketing mobilisent des sujets pendant des heures, des machines, des techniciens, voire des neurologues, et peuvent se dérouler dans des lieux dédiés aux soins, "ce qui est choquant pour une discipline controversée dont les buts avérés sont clairement la manipulation des esprits à des fins commerciales."
La France trop frileuse ?
Michel Badoc, professeur à HEC, expert en stratégie d’entreprise et en marketing, et auteur d'un ouvrage sur le neuromarketing, ne voit rien de choquant dans ces pratiques : "Il ne s'agit là que de simples techniques permettant d'approfondir les recherches et à ma connaissance leur utilisation en marketing n'ont jamais montré d'applications dangereuses". La prise de position de l'office parlementaire agace le professeur, pour qui ce genre de décision repose sur des a priori et sur une méconnaissance des législateurs qui portent un jugement intempestif : "La France est malheureusement un pays qui compte de nombreux censeurs aimant interdire à des chercheurs des domaines nouveaux, sans même parfois essayer de comprendre le but et l'intérêt de leur recherche. Ils ont tendance à interdire tout progrès qui psychologiquement dérange pendant que le monde avance, particulièrement dans les pays anglo-saxons."
Et si Michel Badoc admet que l'IRM est plus utile pour soigner que pour réaliser des études marketing, il se veut pragmatique : "En quoi est-il choquant que les hôpitaux prêtent leur matériel à des entreprises intéressées ? Je ne vois pas pourquoi il faudrait interdire l'utilisation des IRM lorsqu'ils sont inutilisés, si cela rapporte à l'hôpital des fonds supplémentaires importants".
L'éthique comme "garde-fou"
Si l'utilisation des techniques de neuro-imagerie par la justice n'est pas encore une réalité en France, le rapport a tout de même tenu à se prononcer sur la question. "L'utilisation de l'imagerie médicale en justice lui confère une force probante et renforce le risque de dérives, dans le milieu professionnel ou de l'assurance", a mis en garde M. Claeys.
De manière générale, pour les auteurs du rapport, la vigilance vis à vis des "détournements" des connaissances croissantes en neurosciences ne doit pas faiblir. L'OPECST recommande de donner rapidement à l'Agence de la biomédecine les moyens d'assurer les nouvelles missions de veille et de contrôle en matière de neurosciences qui lui ont été confiées par la loi de bioéthique de juillet 2011.
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- Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST)
Télécharger le rapport : "Impacts et enjeux des nouvelles technologies d'exploration et de thérapie du cerveau" (PDF)