OGM : le professeur Séralini conteste le retrait de ses travaux
Le responsable éditorial de la revue Food and chemical toxicology, qui avait publié fin 2012 les travaux controversés du professeur Gilles-Eric Séralini, a décidé mi-novembre 2013 du retrait de l'article de ses archives. "Les résultats présentés, s'ils ne sont pas incorrects, ne permettent pas de conclure", argumente-t-il dans un courrier adressé au chercheur. Le 29 novembre, ce dernier a contesté publiquement cette décision lors d'une conférence de presse à Bruxelles.
"Nous refusons le retrait de l'article", a tout affirmé le scientifique, qui dénonce "des pressions insupportables" et souligné que l'éditeur de la revue Food and chemical toxicology (FCT) n'avait relevé "ni fraude, ni représentation fausse et intentionnelle des données" dans son étude.
Depuis sa publication, l'étude du professeur Séralini avait été vivement critiquée, de toutes parts, pour avoir été réalisée sur un trop petit nombre d'animaux, par ailleurs génétiquement enclins à développer spontanément les pathologies observées.
"Concernant la race et le nombre de rats utilisés […], nous estimons que le débat n'est pas scientifiquement fondé", rétorque le biologiste, citant des exemples d'études de suivi sur le long terme ayant utilisé la même race de rats (Sprague-dawley). Quant à la taille des groupes constitués pour l’étude (10 animaux), il défend le fait que son étude ne porte pas sur la cancérogénèse (formation d'un cancer), mais sur la toxicité chronique de composés chimiques, travaux "pour [lesquels] dix animaux par groupe sont suffisants". Les études réalisées par Monsanto pour justifier l'absence de toxicité des souches génétiquement modifiées étudiées avaient tout du moins été réalisées sur un nombre similaire de rats...
Ni fraude, ni erreur
L'étude retirée par FCT concluait, selon ses auteurs, à un risque accru de tumeurs mammaires et d'atteintes hépato-rénales pour les rats nourris avec le maïs OGM "NK603", associé ou pas à l'herbicide Roundup, tous deux produits par la société Monsanto.
"Nous maintenons nos conclusions", a répondu Gilles-Eric Séralini, dans une réponse adressée à la revue. Il rappelle qu'un groupe de scientifiques qualifiés avait évalué l'étude avant sa publication, conformément aux règles habituelles. Toutefois, selon le responsable de la revue, un panel de chercheurs aurait réexaminé les données de l'étude et estimé que "l'article devait être retiré".
"Seul un cas de fraude ou une erreur peut justifier [le retrait d'un article]", a rappelé Gilles-Eric Séralini. Selon lui, cette décision de retrait serait liée à "l'arrivée dans le comité éditorial de la revue de Richard Goodman, un biologiste qui a travaillé plusieurs années chez Monsanto".
Remise en question des protocoles
Ses conclusions ont été rejetées à la fois par l'Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) mais ont permis d'interroger les protocoles utilisés pour tester les OGM.
L'Anses a ainsi recommandé que ce type d'études de long terme soit effectué, ce qui demande des moyens très importants. Dans ce but, des appels d'offre ont été lancés durant l’été 2013, associés à un protocole défini par l'Efsa.
A l'issue de la conférence de presse de Gilles-Eric Séralini, un groupe d'élus européens et de scientifiques présents à Bruxelles a déclaré que ce retrait "[démontrait] l'influence croissante des groupes de pression sur le processus d'expertise" et constituait "une menace pour la sécurité alimentaire".
"L'étude de Séralini est une expérience pilote et elle a pour but d'être confirmée", a plaidé Paul Deheuvels, membre de l'académie des Sciences.
Le lobbying en question
"Je veux lancer aujourd'hui un cri d'alarme contre la prise de pouvoir des lobbies. C'est extrêmement préoccupant pour nos sociétés", a annoncé l'eurodéputée libérale française Corinne Lepage, ancien ministre de l'écologie.
Corinne Lepage a appelé les scientifiques à se mobiliser pour que cessent "les pressions sur les revues", et a réclamé le départ de lobbyistes présent au cœur de la Commission européenne et par l'Autorité européenne pour la sécurité des aliments (EFSA) chargée de l'évaluation des risques des OGM. Corinne Lepage a cité nommément Anne Glover, "une ancienne de Monsanto" engagée comme conseillère scientifique par le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, l’accusant de "faire régulièrement des déclarations pro-OGM".
Le processus d'évaluation des risques mené par l'EFSA sur les OGM est depuis des années sous le feu des critiques au Parlement européen. L'Observatoire de l'Europe Industrielle (CEO), une ONG basée à Bruxelles a démontré dans une étude que 59% des membres des groupes de travail de l'EFSA sont en situation de conflit d'intérêt, car liés à l'industrie.
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