Un cœur greffé peut-il générer de nouvelles émotions ?
Dans son livre autobiographique, Charlotte Valandrey avance des arguments scientifiques pour expliquer sa conviction d’avoir reçu, avec son nouveau cœur, une partie des souvenirs du donneur. "Non, le cœur ne contient pas de mémoire", explique un neurobiologiste, mais une greffe peut agir sur l’état émotionnel.
"Mémoire cellulaire" et "neuropeptides", tels sont les "arguments" avancés par Charlotte Valandrey dans l'entretien accordé à L'Express pour expliquer l'origine de rêves et de goûts qui ont surgi depuis sa greffe de coeur. Dans son livre, De coeur inconnu, elle évoque des cauchemars où elle n'est pas "elle-même" et de très fortes sensations de déjà-vu. Sans oublier le plaisir totalement nouveau provoqué par le fait de boire du vin, manger un baba au rhum ou une tarte au citron.
Il ne s'agit bien sûr pas ici de mettre en doute la sincérité de son témoignage. Mais d'éviter l'émergence d'une angoisse supplémentaire chez tous les greffés. Ils doivent déjà vivre avec la crainte permanente d'une cohabitation trop difficile entre leur système immunitaire et leur greffon. Actuellement, il n'est absolument pas prouvé scientifiquement que leur cerveau puisse être un jour habité par les souvenirs du donneur !
Il faut être d’autant plus prudent en matière de "mémoire cellulaire", que ce concept mène dangereusement vers un redoutable labyrinthe aux parfums sectaires. Spiritisme et thérapies en tout genre promettent de guérir bien des maladies en "reprogrammant" les cellules ! Des cellules qui développeraient un cancer à cause d’un traumatisme dont elles auraient gardé la trace, par exemple.
Comme trop souvent, cette extrapolation s'appuie sur de véritables pistes de recherches actuelles. Elles montrent que tout ce qui intervient dans la régulation de notre mémoire ne vient pas seulement du cerveau. Mais une chose est sûre pour le Pr. Vincent Lelièvre, neurobiologiste à l'Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives de Strasbourg, responsable de l’équipe "Neuropeptides et développement cérébral" : "le cœur n'a pas de mémoire." Il a accepté de décrypter pour nous quelques uns des mécanismes en jeu.
- Charlotte Valandrey pense que les nouveaux rêves et goûts apparus depuis sa greffe viennent de neuropeptides contenus dans le cœur qu’elle a reçu. Qu’est-ce qu’un neuropeptide ?
Pr. Vincent Lelièvre : "Il y en a un très grand nombre dont on ne connaît pas encore bien toutes les fonctions. Il s’agit de messagers en quelques sortes, des micro-protéines qui sont capables de modifier l’état émotionnel. Elles sont produites pour l’essentiel par les neurones, au niveau du cerveau, mais aussi par les fibres nerveuses de l’ensemble de l’organisme. Elles peuvent ainsi effectivement être générées par un cœur greffé qui est nécessairement transplanté avec son système nerveux et ses vaisseaux, indispensables à son fonctionnement.
"Cela dit, ma première remarque devant les sentiments de cette actrice, serait de rappeler que l’impact psychique et physique d’une greffe - et les traitements médicamenteux utilisés - est tel qu’une personne n’est forcément plus la même après pareille intervention. Autrement dit, les nouveaux rêves ou les sentiments de déjà-vu, peuvent surtout venir de cette transformation. Après ce choc, son cerveau utilise peut-être désormais différemment les fragments de sa mémoire pour fabriquer des rêves".
- Quels sont néanmoins les équilibres sur lesquels ces "messagers" du cœur greffé, ces neuropeptides, peuvent avoir une influence ?
Pr. Vincent Lelièvre : "Le cœur greffé sécrète donc ces micro-protéines qui passent en partie dans la circulation sanguine. Au niveau du cerveau, elles peuvent moduler l’activité des neurones pour les émotions, l’appétit, la douleur, ou les rythmes veille/sommeil, par exemple. D’où une éventuelle modification des goûts et du comportement. Des changements d’autant plus plausibles que le système immunitaire aussi produit et interfère avec ce type de messager ! Et celui d'une personne greffée est justement modifié par les traitements qui l’« endorment » pour tolérer l’organe étranger.
"Il peut donc y avoir des influences à certains niveaux. Mais attention, il ne s’agit que d’éventuelles interférences ! Le cœur lui-même n’a pas de mémoire ! On ne peut pas imaginer que la mémoire elle-même vienne du greffon ! Le cerveau, et plus précisément les structures de l’hippocampe, restent le lieu où s’accumulent nos souvenirs. Et les neuropeptides ne sont qu’un des nombreux facteurs capables de moduler l’activité d’apprentissage et la mémorisation !"
Propos reccueillis par Géraldine Zamansky, le 19 septembre 2011
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Dans les médias :
- L'Express.fr
- "Charlotte Valandrey : Je suis allée puiser très loin en moi", par Claire Chartier, 17 septembre 2011