Un processus immunitaire inédit pour protéger le fœtus
Au début de la grossesse, certaines cellules immunitaires agressives troquent leur capacité à attaquer les corps étrangers pour se mettre à produire, dans la paroi utérine, des substances favorisant l'implantation du fœtus. Une chercheuse de l'Inserm vient de démontrer qu'en présence du très dangereux cytomégalovirus (un virus de la famille de l'herpès), ces cellules peuvent retrouver leur fonction première et venir lutter contre l'infection. Le mécanisme, inédit, fait l'objet d'un article dans l'édition d'avril 2013 de la revue Plos Pathogens.
A la suite de la fécondation et de l'implantation de l'œuf dans l'utérus, de nombreux mécanismes biologiques viennent inhiber les fonctions naturelles de certaines cellules du système immunitaire. Ainsi, une partie des impitoyables lymphocytes NK de l'organisme (les initiales NK signifient précisément "natural killer") viennent s'implanter dans la paroi utérine, et perdent bientôt toute capacité d'attaque contre les corps étrangers. L'organisme leur attribue une nouvelle fonction : celle de sécréter des facteurs qui favorisent l'implantation du fœtus dans l'utérus. Sous ce nouveau rôle, ils sont désignés sous le nom de dNK (1).
Nabila Jabrane-Ferrat, chargée de recherche au CNRS, rattachée au centre de physiopathologie de Toulouse, étudie depuis de nombreuses années la façon dont les lymphocytes NK réagissent aux infections virales et au développement de tumeurs. En étudiant la réponse immunitaire d'organismes de femmes enceintes à une infection par le cytomégalovirus - un virus de l'herpès d'une dangerosité extrême pour le fœtus - la scientifique a découvert que les dNK étaient capable de réendosser leur rôle initial.
"Le cytomégalovirus (CMV) présent dans l'organisme maternel peut traverser la barrière placentaire et infecter les cellules du fœtus," rappelle le chercheur. "Cette infection peut être très délétère pour le fœtus, en particulier au cours du premier trimestre de grossesse. Les séquelles neurologiques de l'infection peuvent être très graves."
En analysant des tissus provenant d'interruptions de grossesses dues au CMV, le chercheur a observé que des cellules dNK avaient migré sur le site de l'infection dans le placenta.
"C'est la première fois que l'on observe le phénomène," commente pour nous le docteur Jabrane-Ferrat. "Les cellules dNK redeviennent cytotoxiques afin de tuer les cellules infectées et contrôler l'infection. Elles apparaissent capables de percevoir l'infection au CMV, de migrer vers le tissu placentaire infecté et de l'infiltrer, in vitro et in vivo."
In vitro, les dNK parviennent à détruire 60% des cellules infectées en 18 heures environ. L'exposition des dNK à des cellules infectées au CMV apparaît en outre modifier le nombre de récepteurs de surface sensibles au virus.
L'étude publiée dans Plos Pathogens, très complète, démontre par ailleurs que les processus par lesquels les dNK mettent à mort leurs cibles sont très différents de ceux qui caractérisent usuellement les NK. L'inhibition artificielle des voies par lesquelles les NK mènent leur attaque n'apparaît pas influer sur les compétences cytotoxiques des dNK. Les travaux réalisés ont permis d'identifier les mécanismes complexes en question.
Ces découvertes intéressent beaucoup les chercheurs en virologie de l'Inserm. S'il s'avérait possible de stimuler l'aptitude des dNK à protéger le fœtus contre une infection au CMV, des traitements antiviraux d'un nouveau type pourraient être développés. Le groupe de recherche du docteur Jabrane-Ferrat projette aujourd'hui d'étudier si les dNK peuvent réagir de façon analogue dans d'autres situations d'infections.
(1) Le "d" est l'initiale de l'adjectif décidual, qui désigne les corps intégrés à la muqueuse utérine qui sera expulsée, avec le placenta, lors de l'accouchement.
Source : Human Cytomegalovirus Infection Elicits New Decidual Natural Killer Cell Effector Functions. Siewiera J et al. 2013 PLoS Pathog 9(4): e1003257. doi:10.1371/journal.ppat.1003257