Vincent Lambert : le tribunal demande la poursuite des soins
Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s’est prononcé ce 16 janvier 2014 sur le cas de Vincent Lambert, un tétraplégique en état de conscience minimale, dont les parents s'opposaient à l'euthanasie passive, décidée par le corps médical, en accord avec sa femme et une partie de sa famille. Le tribunal demande à l'hôpital de maintenir l'alimentation et l'hydratation du patient.
Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est donc prononcé contre la décision d'euthanasie passive prise par les médecins de Vincent Lambert, a-t-on appris auprès d'un avocat des parents.
"Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne suspend l'exécution de la décision du 11 janvier 2014 par laquelle le centre hospitalier régional universitaire de Reims a décidé d'interrompre l'alimentation et l'hydratation artificielles de M. Vincent Lambert", a indiqué le tribunal dans un communiqué.
Le Tribunal a notamment "jugé que la poursuite du traitement n'était ni inutile, ni disproportionnée et n'avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie et a donc suspendu la décision d'interrompre le traitement", explique notamment la juridiction.
Elle a estimé que "c'est à tort que le CHU de Reims avait considéré que M. Lambert pouvait être regardé comme ayant manifesté sa volonté d'interrompre ce traitement".
"On a sauvé la vie de Vincent", a estimé Me Paillot. "C'est une victoire du droit, c'est une lecture de la loi Leonetti à la lumière de la dignité. C'est une victoire pour tous les handicapés", a-t-il ajouté.
"Le tribunal a reconnu que Vincent n'était ni malade ni en fin de vie et la loi ne pouvait pas s'appliquer. Dans le cas de Vincent les éléments pour arrêter l'alimentation ne sont pas réunis", a conclu l'avocat.
L'avocat de François Lambert, neveu de Vincent Lambert favorable à l'euthanasie passive, a indiqué à l'AFP qu'il pourrait faire appel devant le Conseil d'Etat.
Réactions
Interrogé par l'AFP à l'issue du jugement le Dr Kariger, chef du service de médecine palliative du CHU de Reims, a déclaré "[avoir] le sentiment que les volontés de Vincent n'ont pas été respectées".
"Je pense beaucoup à la femme de Vincent et à l'ensemble de la famille. Le tribunal suspend la décision médicale, mais le conflit familial va rester lui aussi suspendu", a déclaré le médecin. "C'est une remise en cause de la loi Léonetti, dans sa justesse et son équilibre, ce qui en tant que citoyen m'inquiète particulièrement".
"C'est à la déontologie et à la profession médicale de définir la notion d'obstination déraisonnable. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que certains ont pris notre place", a encore commenté le Dr Kariger. "Je ne suis pas seul à décider, mais à titre personnel, j'ai l'intime conviction qu'il faut consulter le Conseil d'État vu l'ampleur des enjeux".
Interrogé sur LCI à l'issue du jugement, Jean-Claude Romero, président de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD), a observé que la décision du tribunal illustrait "l’ambiguïté et les limites de la loi Léonetti", qu’il souhaite voir évoluer.
"Si le jugement avait donné raison aux médecins, [l’arrêt des soins] aurait conduit à laisser Vincent mourir de faim et de soif", a-t-il commenté. Ce constat est probablement entré en ligne de compte dans les délibérés, en défaveur de la décision des médecins.
Une audience tendue
"Vincent est handicapé, il n'est pas atteint d'un mal incurable, il n'est pas en fin de vie sauf si on lui retire son alimentation et son hydratation", avait expliqué au tribunal Jérôme Triomphe, l'avocat des parents de Vincent - et figure médiatique associée à la défense de plusieurs mouvements ultra-conservateurs (Agrif, Manif pour Tous, Renouveau Français...). Selon lui, la loi Leonetti ne peut s'appliquer au cas du fils de ses clients.
Avant lui, le rapporteur public avait préconisé le maintien de l'alimentation et l'hydratation artificielles du malade tétraplégique, estimant "que le patient est dans état irréversible mais que sa conscience existe et qu'il est impossible de juger du sens de sa vie".
Il a par ailleurs enjoint le tribunal de rejeter la demande des requérants de transférer le patient dans un autre hôpital.
Selon le corps médical, Vincent est totalement aphasique et dans un état pauci-relationnel (état de conscience minimale) qui permet une certaine interaction avec l'environnement par la vue notamment, sans pour autant "être sûr qu'il intègre correctement les informations sensorielles".
Comportements d'opposition aux soins
Depuis le début de l'année 2013, le malade avait multiplié, d'après les médecins, des comportements d'opposition aux soins, "faisant suspecter un refus de vivre".
En avril 2013, un premier protocole de fin de vie avait déjà été engagé mais sans consulter explicitement les parents vivant dans le sud de la France, qui avaient saisi la justice et obtenu la reprise des soins de leur fils.
L'action judiciaire avait mis au jour un conflit familial, alimenté, selon plusieurs témoignages, par les convictions religieuses très ferventes des parents de Vincent.
Lors des débats, l'avocate du CHU de Reims a insisté sur "l'obstination déraisonnable" que représente la continuation des soins "vu l'état de Vincent qui n'a pas de conscience au sens de la médecine et aucune vie relationnelle".
"Une partie de la famille, dont sa femme, a signifié que Vincent Lambert avait témoigné de sa volonté de refuser l'acharnement, mais c'est au médecin seul que revient la décision", a ajouté Me Catherine Weber-Seban.
"Personne ne souhaite, s'il est bien portant, être dans la situation de Vincent Lambert, mais qui peut savoir maintenant ce qu'il en pense", lui avait répondu Me Triomphe.
"Vincent avait dit clairement qu'il n'aurait pas voulu vivre comme ça. Il était infirmier: il l'a dit à sa femme, à son frère, il connaissait ce genre de cas. C'était pas "Si j'étais dépendant de quelqu'un, je préfèrerais mourir". C'était "Si je suis dans le coma comme ça, sans aucune vie, je ne vois pas de spiritualité là-dedans, je préfère mourir", a déclaré sur Europe 1 François Lambert, neveu de Vincent.
Le député UMP Jean Leonetti, auteur de la législation actuelle sur la fin de vie, a estimé le 15 janvier que sa loi pouvait s'appliquer au cas de Vincent Lambert, même si ce dernier n'est pas atteint d'une maladie incurable.
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