Vision : pas de 3D avant 6 ans !
En dix ans, l'offre de films en relief des cinémas a explosé, et un nombre croissant de téléviseurs, d'ordinateurs, de consoles de jeux incorpore des technologies forçant la perception visuelle de la profondeur. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) publie, le 6 novembre 2014, un avis détaillé déconseillant formellement d'exposer les enfants de moins de 6 ans aux images 3D. Les moins de 13 ans devraient pour leur part modérer leur exposition.
Lorsque nous regardons un objet, une personne, un paysage, nos deux yeux ne perçoivent pas exactement la même image. Pour vous en convaincre, fermez un œil, tendez la main, et dressez votre pouce pour masquer un objet lointain ; sans bouger votre main, regardez avec la scène avec l'autre œil : votre pouce ne masque plus l'objet. La raison est simple : vos yeux n'étant pas superposés, ils perçoivent le monde d'un point de vue légèrement différent.
Les deux images distinctes perçues par vos yeux sont interprétées et fusionnées dans votre cerveau (à l'arrière du crâne) pour déduire des informations sur la profondeur : lorsque le décalage apparent entre deux points est important, le cerveau déduit que ces points sont proches. A l'inverse, si le cerveau ne perçoit aucun décalage entre les signaux visuels issus des yeux, il déduit que l'objet est très lointain (la légère différence de point de vue des deux yeux ne change pas grand chose à ce que l'on voit).
Ce principe est à l'origine des technologies dites "stéréoscopiques", dans lesquelles on force chaque œil à percevoir deux images distinctes, censées représenter deux points de vues différents. Généralement, ce "forçage" est obtenu à l'aide de lunettes spéciales, qui filtrent les signaux lumineux pour que la bonne image arrive au bon œil.
Mais tout ceci n'est qu'illusion, et ce mode de perception diffère en bien des points de la vision naturelle. Au quotidien, notre regard ne cesse de se fixer sur des objets plus ou moins proche. En un coup d'œil, nous passons de l'écran d'ordinateur aux immeubles, au loin, derrière la fenêtre...
Dans la vision naturelle, "les yeux convergent (c'est-à-dire sont orientés vers le même objet) et accommodent (le cristallin de chaque œil se déforme pour obtenir une vision nette) à la même distance", résument les experts de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Avec les images stéréoscopiques, impossible. Tout est "forcé", et l'œil se fatigue (on parle de "conflit accommodation-vergence").
Un inconfort visuel pouvant amener à divers symptômes
L'Anses s'est intéressée à la littérature scientifique sur les différents effets indésirables associés à l'exposition aux interfaces 3D.
Les auteurs recensent "[une sensation de fatigue], des douleurs péri-oculaires, une sensation d'œil sec, des troubles de la vision (vision double, sensibilité réduite aux contrastes spatiaux, diminution de l'acuité visuelle et de la rapidité de perception) et des troubles extra-oculaires (maux de tête, douleurs au cou, maux de dos et aux épaules, baisses de performances dans les activités mentales, pertes de concentration)".
D'autres symptômes peuvent potentiellement apparaître, "notamment des effets liés à l'équilibre […] ou des effets liés à l'appréciation du réel (altération de la perception de l'environnement)." Ces effets restent toutefois encore mal étudiés, "mais pourraient générer un risque accidentel ponctuel lié aux vertiges".
Des effets d'autant plus fréquents que le système visuel est immature
Chez l'enfant, en particulier avant l'âge de 6 ans, "des effets sanitaires plus marqués liés au 'conflit accommodation-vergence' des yeux pourraient apparaître", "du fait du développement actif du système visuel pendant cette période (accommodation, vergence, maturation des voies visuelles, etc.)".
L'Anses observe, en outre, que la qualité des contenus 3D s'avère très hétérogène "en matière de confort visuel" malgré l'existence de recommandations techniques. Les modes de production des images n'étant pas réellement standardisé, il arrive fréquemment que les deux images (vue gauche et droite) soient trop différentes pour que le cerveau puisse les interpréter correctement. De légers décalages lors de la prise de vue (ou de la simulation de prise de vue), des déformations optiques, voire des effets de profondeur trop prononcés sont autant de causes de fatigue visuelle qu'il conviendrait d'éviter.
Les recommandations de l'Anses
Au vu de ces données, l'Anses recommande :
- de déconseiller l'exposition aux technologies 3D aux enfants de moins de 6 ans ;
- que les enfants de moins de 13 ans aient un usage modéré des technologies 3D, et qu'ils soient, ainsi que leurs parents, attentifs aux éventuels symptômes induits ;
- que les personnes sujettes à certains troubles visuels (troubles d'accommodation, de vergence, etc.) et de l'équilibre limitent leur exposition à ces technologies, notamment dans des contextes d'exposition professionnelle.
Afin de limiter la fatigue visuelle et l'apparition des symptomes cités plus haut, l'agence invite les utilisateurs :
- à ne pas se positionner trop proche de l'écran : en effet, plus le spectateur s'en éloigne, moins il subit de contraintes sur son système visuel ;
- à respecter les instructions des constructeurs de dispositifs 3D ;
- à conserver ses corrections optiques pendant la visualisation de contenus en 3D.
En cas d'apparition de symptômes de fatigue ou d'inconfort visuel, il convient de restreindre son temps d'exposition et de consulter un ophtalmologiste, afin de dépister d'éventuelles pathologies.
L'Anses incite enfin les professionnels médicaux et paramédicaux de la petite enfance, ainsi que les ophtalmologistes, à s'informer sur les mécanismes mis en jeu lors de la visualisation d'interfaces en 3D.
En savoir plus :
- Faire le point sur sa vision, article du 2 septembre 2014