Expérimentations animales : la guerre des lobbies
Le 28 janvier 2015, l'Assemblée nationale a voté un projet de loi qui change le statut des animaux dans le Code civil. Les animaux sont désormais des êtres sensibles. Qu'est-ce que cela va changer pour les chercheurs qui recourent à l'expérimentation animale ? Les explications avec Rudy Bancquart.
Dans le Code civil, les animaux étaient considérés comme des meubles. Mais pour les chercheurs, cette loi ne change rien car les animaux sont déjà considérés comme des êtres sensibles depuis 1976 par le Code rural dont ils dépendent. En revanche, il est intéressant de savoir d'où émane cette proposition de loi. Elle fait suite à une pétition de l'association "30 millions d'amis" qui a réuni près de 800.000 signatures.
Ce n'est pas la première fois que des associations réussissent à faire pression pour modifier la loi, et notamment sur les expérimentations animales. En 2013, ils ont en effet gagné leur bras de fer face à l'industrie cosmétique. Les expérimentations animales sont désormais interdites dans ce domaine pour tout le continent européen.
Qu'en est-il des expérimentations animales dans le domaine de la santé ?
Les expérimentations animales restent autorisées pour la biologie fondamentale, la médecine humaine, la production de médicaments et l'enseignement. Parmi les 2,2 millions d'animaux utilisés en France, 80% sont des rongeurs et lapins, 16% des poissons, 3% des oiseaux et 1% de chevaux, chats, chiens ou primates.
Il existe des règles, les chercheurs ne peuvent pas faire n'importe quoi. Depuis 1986, une directive européenne régit l'expérimentation et le bien-être animal. Cette directive a été renforcée en 2010. Il a été question par exemple des espèces autorisées (les grands singes sont interdits), de la taille des cages, du renouvellement de l'air, de la douleur, de la nécessité de l'anesthésie, de la provenance des animaux (élevage) etc. Et la mesure phare, c'est les comités d'éthique composés de chercheurs qui évaluent l'intérêt du recours aux animaux et donnent ou pas le feu vert. Ce texte que la France devait adopter avant 2013 a donné lieu à un lobbying intense aussi bien au niveau européen que français entre ceux qui défendent l'expérimentation animale et ses opposants : deux lobbies hyper puissants aux méthodes bien différentes.
La méthode de lobbying des opposants à l'expérimentation animale
Il y a tout d'abord les associations qui défendent la cause animale. Leur technique : utiliser des images choquantes auprès de l'opinion publique. C'est la meilleure façon de faire pression sur celui qui vote les lois. Cette méthode de lobbying est assez efficace. Nous avons tous en tête ces images de singes avec des électrodes dans le cerveau. Le problème avec ces images : soit elles sont datées, soit on ne sait pas d'où elles viennent (Chine ou Europe c'est différent). Parfois, elles viennent de labos européens. Quand on montre ces images à un député français ou européen avant le vote d'une loi elle provoque un certain effet. Enfin, ils ont des relais médiatiques : Brigitte Bardot ou encore Aymeric Caron dernièrement.
Il n'y a pas que les défenseurs des animaux qui combattent l'expérimentation. Il existe aussi des associations composées de chercheurs comme "Antidote". Pour eux, le modèle animal et le modèle humain ne peuvent être comparés car ils sont biologiquement différents. Par conséquent, rien ne justifierait ces expérimentations. Leur méthode pour convaincre : utiliser des études scientifiques, souvent controversées, pour influencer les députés européens grâce à leurs relais présents dans toute l'Union européenne. Seulement pour info, il faut savoir que l'expérimentation animale est parfois imposée par la loi. C'est le cas pour les études de sécurité de médicaments.
Comment les chercheurs pratiquant l'expérimentation se font-ils entendre ?
Certains chercheurs ont pris le parti de ne pas évoquer le sujet en public. Pour preuve, l'Institut Pasteur qui ouvre souvent ses portes au Magazine de la santé refuse qu'on montre un seul animal par peur que ces images soient détournées par les adversaires de l'expérimentation. Cela pourrait faire baisser les dons publics. D'autres équipes de recherche acceptent dans le cadre d'un reportage médical.
Leur méthode de lobbying est plus discrète. Il est vrai que la loi leur est plutôt favorable. Pour défendre leurs intérêts, ils ont créé le Gircor en 1991 qui regroupe des institutions de recherche publiques (Inserm) et privées et des entreprises du médicament. Ils ont un argument et pas des moindres : le progrès médical sauve et améliore des vies humaines. Ils ont l'oreille des nombreux parlementaires médecins sensibles aux enjeux de la recherche. Et ils mettent en avant des grands chercheurs comme le prix Nobel Barré-Sinoussi. Les grandes découvertes participent à l'image d'un pays. C'est synonyme de vitalité et de rentrée d'argent. Et cela compte lorsqu'on vote une loi.
Peut-on faire de la recherche sans expérimentation animale ?
Les méthodes alternatives (idée des anti-expérimentations) comme les méthodes in vitro consistent à étudier une partie d'un organisme. Les chercheurs l'utilisent quand cela est possible mais ces méthodes ne peuvent pas remplacer aujourd'hui totalement l'expérimentation animale qui consiste, elle, à l'étude d'un organisme vivant et complet.