Covid : "Des milliers de personnes sont mortes après avoir lu de fausses informations sur le vaccin"
La désinformation sur le Covid-19 a poussé de nombreuses personnes à refuser la vaccination. Plutôt que de pointer du doigt les non-vaccinés, des médecins dénoncent les "désinformateurs" qui seraient à l'origine, selon eux, de nombreux décès.
“Ce sont les désinformateurs qui engorgent l'hôpital. Macron veut emmerder les non-vaccinés, et bien moi, je veux emmerder et poursuivre les désinformateurs”, lance Stéphane Gaudry, professeur au service de réanimation de l’hôpital Avicenne (Bobigny). Sur les réseaux sociaux, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer ceux qui propagent des fausses informations et poussent certains patients à refuser le vaccin.
🔥Il serait temps que les désinformateurs notamment médecins et/ou chercheurs rendent des comptes pour leur désinformation plutôt que de se concentrer sur les gens réticents au vaccin
— Nathan Peiffer-Smadja (@nathanpsmad) January 8, 2022
Bcp de coupables sont toujours en poste, pourquoi se concentrer uniquement sur leurs victimes ?
Car refuser la vaccination peut s'avérer fatal. Tous les jours, les médecins réanimateurs admettent dans leurs services des patients non-vaccinés qui auraient pu éviter de contracter une forme grave du Covid. D'après une enquête menée par la Société française d’anesthésie et de réanimation, sur 896 patients recensés dans 165 services de réanimation, 80 % sont non-vaccinés.
“On a le cœur froissé”, admet Bruno Megarbane, chef de service de réanimation à l’hôpital Lariboisière. Concrètement, une personne admise en réanimation a “un risque sur trois ou cinq de mourir du Covid”. Un risque qui s’élève à un sur deux pour les personnes intubées.
Des non-vaccinés victimes de la désinformation
Selon les chiffres de Covid Tracker, près de 5 millions de personnes (soit 8 % de la population française éligible), n’ont reçu aucune dose. Parmi elles, sans doute des militants "anti-vax", fondamentalement opposés à la vaccination, mais est-ce le cas de toutes les personnes non-vaccinées ?
“La plupart des non-vaccinés que nous recevons à l'hôpital sont des victimes de désinformation. Ils ne vont pas manifester le samedi”, explique Stéphane Gaudry. “Ils nous disent : “j’ai entendu ça sur les vaccins, j’ai pris peur”. Ce sont des victimes.”
D'après lui, des "milliers de patients sont morts parce qu’ils avaient refusé le vaccin après avoir lu de fausses informations."
L'hydroxychloroquine, une fake news très virale
Pour mieux comprendre cette désinformation, il faut remonter à l'année 2020. Parmi les fausses informations qui ont circulé pendant la crise sanitaire, il y a celle sur l'hydroxychloroquine. Pendant plusieurs mois, le Pr. Didier Raoult, directeur de l’IHU de Marseille, a fait le tour des plateaux de télévision pour vanter l'efficacité de son traitement, et ce, malgré l’absence de données scientifiques fiables.
Par la suite, les données disponibles sur l'hydroxychloroquine sont jugées"hétérogènes et inégales” par l'Agence du médicament (ANSM). Le traitement n’est pas autorisé en France, et le professeur écope d’un blâme.
Mais le mal est fait. Sur les réseaux sociaux, la fausse information circule et alimente le doute chez les personnes réticentes à la vaccination. Les défenseurs de ce faux traitement continuent à être invités dans les médias. C’est la cacophonie.
En parallèle, de nombreux partisans de l'hydroxychloroquine arrivent dans le services de réanimation du professeur Gaudry.
C'est le cas des frères Bogdanoff. Quinze jours avant son admission en réanimation, Igor Bogdanoff expliquait au micro de France Bleu qu’il donnait raison à Didier Raoult, et que son travail sur les traitements anti-Covid était encourageant. Non-vaccinés, les jumeaux partisans du Pr. Raoult décéderont tous les deux du Covid, le 28 décembre (Grichka) et le 3 janvier (Igor), soit deux semaines après leur admission en réanimation.
A lire aussi : Décès des frères Bogdanoff : existe-t-il une prédisposition génétique au Covid ?
“Chamboulé par Didier Raoult”, Alain meurt du Covid
Des histoires similaires se multiplient dans la presse nationale et régionale. Dans la Provence du 6 janvier, on pouvait lire le témoignage de Sandrine F., veuve d’Alain Franchomme, décédé des suites du Covid. Ce médecin à la retraite n’est pas allé se faire vacciner car il croyait en l'existence de traitements contre la maladie. “Mon mari avait passé un diplôme de médecine infectieuse (...). Raoult c’était une référence, sa parole avait de la valeur”, raconte Sandrine, qui “en veut” au Professeur Raoult.
En décembre 2020, la campagne vaccinale commence à peine que les fake news sur le vaccin se multiplient. Il serait inefficace contre les formes graves, rendrait les femmes infertiles, et pourrait augmenter le risque d’AVC. Aucune de ces affirmations n'a été prouvée scientifiquement, pourtant on les retrouve facilement sur les réseaux sociaux. Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé parle alors d’une “infodémie mondiale”.
En décembre dernier, c’est l’histoire de Karim, une autre victime des fake news, qui a fait le tour des réseaux sociaux. Depuis son lit d'hôpital, ce patient exprimait son regret d’avoir refusé la vaccination : “Je conseille à tout le monde d’aller se faire vacciner (...) toutes ces conneries qu’on entend dans vos têtes, YouTube, la théorie du complot, toutes ces conneries-là, il faut vraiment les gommer.” Quelques jours après la diffusion de cette vidéo, Karim décédera des suites du Covid-19. Il avait 48 ans.
💬 « Il faut que les gens se réveillent » : les derniers mots de Karim, mort du Covid-19
— Ouest-France (@OuestFrance) January 4, 2022
Des complotistes remettaient en cause son témoignage, l'accusant d'être un faux patient du Covid-19. pic.twitter.com/1BmuICGqqc
"Emmerder et poursuivre les désinformateurs"
Plutôt que de rejeter la faute sur les non-vaccinés, Stéphane Gaudry pointe du doigt la responsabilité des médecins, hommes politiques, ou éditorialistes qui sèment le doute dans la tête des patients. Ces “pseudos spécialistes" du Covid se sont bousculés sur les plateaux de télévision pour donner, sans aucune justification scientifique parfois, leur avis sur l’épidémie et les consignes sanitaires à suivre.
Parmi ces “responsables”, on peut citer le Pr. Didier Raoult qui a écopé d’un blâme, mais aussi Christian Perronne, ancien chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches.
Ce dernier affirmait que le vaccin avait fait “20.000 morts en Europe”, et qu’il y avait “quatre fois plus de décès chez les vaccinés au Royaume-Uni”. Il sera finalement démis de ses fonctions en décembre 2020 après avoir attesté qu'un médecin généraliste qui "déclarait un test Covid positif (...) touchait de l'argent”, insinuant ainsi que les médecins avaient tout intérêt à multiplier les tests.
🇫🇷 Pr Perronne
— KARIM (@KARIMAMARKHODJ1) December 14, 2021
"Ce sont des produits expérimentaux [...] Il est totalement illégal de les rendre obligatoires. + de morts du vaccin que de morts du COVID. Si on se met à vacciner les enfants, c'est le comble de l'horreur !
[...] J'AI JAMAIS VU D'INFARCTUS DU MYOCARDE À 20 ANS" pic.twitter.com/HiS22PfpOr
Les non-vaccinés “ne sont pas médecins”
Les positions de ces médecins sont reprises comme arguments d'autorité par les patients, qui se disent "que si le médecin était à la télévision et que personne ne lui coupait la parole, c'est qu'il devait avoir raison" explique Matthieu Calafiore, médecin généraliste à Wattrelos.
Le sociologue Olivier Klein s’est penché sur ces désinformateurs, et sur les mécanismes qu’ils utilisent pour convaincre. Il a notamment étudié les discours de Jean-Jacques Crèvecœur, un conférencier belge, opposé à la vaccination très populaire sur les réseaux sociaux : “Ce genre de personnage va d'abord asseoir sa crédibilité, construire la confiance avec le spectateur et asséner ensuite des affirmations non étayées. L'audience est prise par le discours. Ce sont des rhétoriciens de grande qualité. Ils se placent dans la position du cartésien. Ils vous disent : "Faites-vous, vous-même, votre propre opinion, moi je ne vous impose rien du tout"”, expliquait-il à nos confrères de France Info dans cet entretien.
Difficile d'y voir clair entre les médecins, les charlatans et les hommes politiques qui veulent faire parler d’eux. “Comment peut-on en vouloir aux non-vaccinés ? Ils ne sont pas médecins. J’ai des patients qui me disent qu’ils ont vu Didier Raoult, Gérald Kierzek ou encore Martin Blachier à la télévision et que ces médecins minimisent l’importance du vaccin. Forcément, ça crée une confusion”, s’emporte le généraliste.
Un long travail de pédagogie
Face à des records de contamination et, par conséquent, une hausse des hospitalisations, il est urgent de convaincre et de rassurer les patients sur la vaccination anti-Covid. Pour ce faire, le docteur Matthieu Calafiore privilégie la pédagogie. Si ses patients ne veulent pas se faire vacciner, c'est qu'ils ont lu des fausses informations sur le vaccin, "je vais donc leur expliquer qu'ils avaient la bonne démarche, celle de se renseigner, mais qu'ils ont obtenu leurs informations sur des mauvais sites."
Ensuite, le médecin prend les arguments les uns après les autres. Celui qui revient le plus : les effets secondaires à long terme. Là aussi, en quelques phrases, la question est balayée. "J'insiste sur la différence entre un traitement qu'on prend tous les jours et une dose de vaccin qui est ponctuel, et que le corps détruit en quelques heures".
Financements des vaccins, danger de l'ARN... le généraliste reprend tout point par point. Un travail qui demande du temps, mais qui porte ses fruits. Il le confirme, après ces discussions, beaucoup de ses patients lui demandent s'il peut les vacciner. "Je ne vais pas leur expliquer la vie ou les prendre de haut, mais écouter leurs peurs et y répondre" développe le médecin, qui insiste sur l'importance des médecins de proximité dans la campagne vaccinale, et dans la lutte contre les fake news.