Dérèglement climatique : "Tant que les choses ne bougent pas, on sera éco-anxieux"
Face au dérèglement climatique, les jeunes sont particulièrement touchés par des symptômes d’anxiété voire de dépression. Démunis par une situation qui les dépasse, certains trouvent dans leur engagement militant la réponse contre leur douleur.
C'est l’histoire d'une génération qui a grandi dans l’urgence climatique. Une génération marquée, depuis toute petite, par les mauvaises nouvelles à la télévision, les catastrophes naturelles et les alertes des scientifiques du monde entier. Une génération qui ne voit pas dans les températures douces du mois d’octobre un été indien, mais l’expression du dérèglement climatique qui se tient là, maintenant, sous nos yeux. Cette génération, Éden*, 16 ans, et Zélie*, 21 ans, en font partie. Toutes deux souffrent d’éco-anxiété et toutes deux ont décidé de s’engager dans des collectifs militants.
Le Pr Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP) et auteur du livre Les émotions du dérèglement climatique, définit l’éco-anxiété comme "l’angoisse liée aux conséquences effrayantes du dérèglement climatique en cours et à toutes les perturbations à venir". Il est formel : l’éco-anxiété n’est pas une maladie, ce n’est donc pas un diagnostic en soi. En revanche, les symptômes des personnes concernées peuvent s’apparenter à d’autres troubles bien connus, comme la dépression ou l’anxiété.
Agir pour ne pas sombrer ?
C'est le cas d’Éden. La jeune lyonnaise souffre régulièrement de maux de ventre et de crises de larmes. Elle évoque aussi des difficultés à se concentrer en cours. "C’est assez dur de vivre avec ça", confie-t-elle. Pour s’aider, elle voit plusieurs professionnels, dont un psychiatre. Pour la lycéenne, l’engagement au sein du collectif Youth for Climate, qu’elle a rejoint il y a un an et demi, est ambivalent.
"Je reçois énormément d’informations. Mon activité militante me fait encore plus prendre conscience de toutes les problématiques. Or je vois que le gouvernement et les gens n’agissent pas, ce qui me met en colère. De l’autre côté, ça me permet aussi de combattre l’éco-anxiété". Paradoxal ? Non, car se saisir des enjeux qui angoissent permet de reprendre un minimum le contrôle. "Quand je manifeste, je sais que ça ne change pas grand-chose mais je me dis que je me fais peut-être entendre, et surtout, j’agis. Même si derrière, ça va mal finir, j’aurai l’impression d’avoir fait ma part, ce qui m’enlève un poids".
Zélie, elle, ressent la même chose. Au sein du mouvement Extinction Rebellion, dont elle est membre depuis deux ans, la bordelaise mène des actions de désobéissance civile par rapport à des projets locaux. "Dès le début, je savais que je n’allais pas changer le monde. Mais on a un impact concret".
Retrouver du sens
Encourager à l’engagement au sein de collectifs fait même partie de la prise en charge des professionnels, dans le cas de patients éco-anxieux. Le Pr Pelissolo explique. "D’abord, il faut écouter les angoisses. En tant que professionnel, cela ne sert à rien de rassurer en disant : « ce n’est pas grave ». Il s’agit de légitimer ces angoisses qui sont justifiées, mais en accompagnant la personne pour ôter le côté excessif, pathologique, et qui peut mener à de graves états dans lesquels on ne peut plus rien faire". Il pousse avant tout ses patients à prendre soin d’eux.
Ensuite, lorsqu’ils reprennent de l’énergie, "on accompagne à l’engagement dans une cause que le patient choisit. En sortant de la passivité et de l’impuissance, on retrouve du sens". Il s’agit aussi de déculpabiliser, puisque "les patients éco-anxieux présentent souvent une hyperculpabilité", confirme le spécialiste. Une fois les patients en meilleure santé mentale, "même si la perspective reste sombre, ils arrivent à profiter de l’instant présent".
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Tous concernés ?
La colère, la tristesse, l’impuissance, sont des sentiments que Zélie a tous traversés. La jeune femme de 21 ans s’est engagée dès l’adolescence. "Faire quelque chose, ça me rassurait sur le moment", dit-elle. "À ce moment-là, je me disais qu’il était encore temps d’agir, je ressentais une forme d’urgence. J’étais optimiste", relate-t-elle, avec le recul. Mais la pandémie de Covid-19 a changé sa vision des choses. "Je me suis rendue compte que rien n’a changé malgré tout ce qui a été dit. J’ai commencé à être désabusée". Surtout, la jeune femme se sent seule. "L’inertie et l’ignorance font plus mal que le problème de base", confie-t-elle.
Ainsi, cet été, alors que tout le pays assiste à la sécheresse et des pics de chaleur, le sud-ouest est particulièrement marqué par des feux de forêt qui dévastent des milliers d’hectares. À Bordeaux, "on avait l’odeur des incendies dans la ville, l’ambiance était vraiment malsaine", témoigne Zélie. "Avec quelques amis, on s’est rendus compte qu’on était seuls à pouvoir en parler entre nous". À tel point qu’elle propose à ces amis de rejoindre un événement organisé par un collectif, une sorte de groupe de parole pour exprimer son éco-anxiété. "En fait, on se sent démunis et on n’a personne avec qui en parler, alors que le problème nous concerne tous", appuie Zélie.
L'éco-anxiété, une fatalité ?
Avec les années, la jeune femme estime être passée de l’urgentisme "à un caractère plus passif. Je m’informe énormément, je lis. Ça m’aide à déconstruire un problème qui parait très gros. Et je vois qu’il y a plein de dimensions, j’arrive mieux à situer quel problème se trouve où". Résultat : "c’est moins la panique, c’est moins brouillon car je détricote le problème global".
Un mécanisme d’auto-protection fait qu’elle traverse des phases de déprime, mais ne sombre pas dans une dépression. Si elle trouve honorable d’aller consulter pour essayer de mieux gérer ses émotions, elle déplore que l’on ne s’attaque pas suffisamment au fond. "Tant que les choses ne bougent pas, on sera éco-anxieux", conclut-elle.
Un constat que partage Antoine Pelissolo. Dans son cabinet, il reçoit de plus en plus de personnes souffrant d’éco-anxiété. Sur ce thème, sa patientèle est particulièrement jeune. "Il y a un effet collectif. Ce sujet est partagé depuis qu’ils sont nés, ils ont grandi avec cette préoccupation". Il remarque que les personnes les plus touchées sont celles qui travaillent ou étudient dans le domaine du climat. Sûrement parce que ces personnes sont hyper lucides sur la situation.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des interlocutrices