Education : non, les professeurs ne vont pas "enseigner la masturbation" à la maternelle
Le 13 septembre, l'Education nationale a envoyé une circulaire sur l'éducation sexuelle à toutes les académies. Annoncée au début de l'été, cette circulaire a suscité de nombreuses polémiques et fake news sur les réseaux sociaux.
Une rumeur absurde, et le net s’enflamme. Cet été, la fake news selon laquelle l’Education nationale s’apprête à enseigner différentes pratiques sexuelles aux élèves français dès l’âge de 4 ans a été partagée en masse. Tout a commencé en juillet, lorsque Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, a annoncé qu’elle comptait envoyer une circulaire à tous les recteurs de France pour renforcer l'éducation sexuelle à l'école.
Depuis le 4 juillet 2001 en effet, une "information et une éducation à la sexualité" sont censées être "dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupe d'âge homogène". Mais cette loi est très peu appliquée. D’après le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui a publié un rapport sur la question en 2016, "seule une petite minorité" de jeunes "bénéficient tout au long de leur scolarité de séances annuelles d’éducation à la sexualité", et un quart des écoles "déclarent n’avoir mis en place aucune action ou séance [en la matière]".
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Cet été, une vague de désinformation
La loi de 2001 est si peu connue qu'elle laisse le champ libre aux interprétations les plus farfelues. Résultat : certains profitent des peurs des parents pour propager des fake news. C’est le cas de la page Facebook Roubaix news, qui a publié le 26 août des photos de documents censés émaner de l’Education nationale. Ceux-ci mentionnaient, entre autres, à côté d’une case "5 ans", l’objectif "faire l’expérience des premières amitiés sincères et relations amoureuses avec des êtres du même sexe ou de l’autre sexe". En à peine une journée, le post a été partagé des dizaines de milliers de fois. Mais comme Le Monde l’a révélé, ces pages (dont le sens a été largement détourné), proviennent en réalité d’un dossier publié en 2008 à destination des enseignants suisses.
Autre élément qui a mis le feu aux poudres : les propos d’Agnès Cerighelli, qui se présente comme une élue La République en marche (LREM). Fin août, celle-ci affirmait sur Twitter être "perplexe sur le programme d’éducation à la sexualité qui va être transmis aux enfants, et ce dès la maternelle". Son tweet, partagé plus d’un millier de fois, en avait effrayé plus d’un. Et pour cause : grâce à son étiquette LREM, Agnès Cerighelli apparaissait comme une personne informée et légitime. Mais les masques sont vite tombés : celle-ci est bien conseillère municipale, elle n'est pas inscrite sur la liste LREM. Ses opinions sont en réalité très proches de celles de La Manif pour tous, dont elle relaie souvent les intox.
La Manif pour tous, d’ailleurs, diffuse pour sa part des mensonges complètement aberrants sur son site, Ecoleetsexe.fr. Elle affirme, entre autres, que les élèves sont encouragés à faire des "travaux pratiques" pour apprendre les différentes positions sexuelles. Sur ce site, on trouve différentes rubriques : "Alcool, porno, sex toys… Objectif : jouir un max", ou "Et maintenant, le sexe en mode e-learning". Sur les réseaux sociaux, ces fake news semblent avoir trouvé un public, et de nombreux Français se disent persuadés que l’Etat veut "pervertir" les enfants et les adolescents.
Que dit vraiment la loi sur l'éducation sexuelle à l'école ?
Dans la "circulaire Schiappa", publiée le 13 septembre sur le site du ministère de l’Education nationale, il n'y a pourtant rien de tout cela. Le document rappelle simplement que conformément à la loi, l’éducation sexuelle doit intervenir du CP à la terminale, à raison de trois cours par an. Ces trois cours doivent couvrir :
- "le champ biologique", qui comprend notamment des cours sur l’anatomie, la reproduction, la contraception ou les infections sexuellement transmissibles
- "le champ psycho-émotionnel", qui concerne, entre autres, les relations interpersonnelles, les sentiments et l’orientation sexuelle
- "le champ juridique et social", qui permet d’aborder les notions de consentement, de pornographie, de violences sexistes et sexuelles, ainsi que les stéréotypes de genre.
A l’école élémentaire, "il ne s'agit pas d'une éducation explicite à la sexualité", précise la directive. Les thématiques abordées sont notamment celles de l'intimité, des différences morphologiques, de la reproduction et de l'égalité entre les filles et les garçons. Les cours sont assurés par les professeurs et inclus dans les programmes.
Au collège et au lycée, la "responsabilité et le respect face aux choix personnels (réseaux sociaux, Internet, cyberharcèlement, pornographie, etc.)", "l’impact des stéréotypes et rôles sexués", la "prévention des grossesses précoces non désirées" ou les "orientations sexuelles" seront discutés lors des cours de SVT ou d’enseignement moral et civique, par exemple. "Ces séances peuvent être co-animées par des partenaires extérieurs institutionnels et associatifs", note la circulaire.
Pour les élèves susceptibles d’émettre des objections, le ministère assure que "ceux-ci ne doivent pas être traités dans un cadre collectif mais relèvent d'une prise en compte individuelle de l'élève qui peut s'appuyer sur tout adulte de la communauté scolaire, et plus particulièrement sur les compétences spécifiques des personnels de santé et sociaux".
L'éducation sexuelle, un enjeu de santé publique
Rien de choquant, de pervers ou d'ambigu, donc. L'éducation sexuelle, indispensable au développement des futurs adultes, y est simplement présentée comme un enjeu de santé publique. Les chiffres parlent d'ailleurs d'eux-mêmes : aujourd’hui encore, de nombreux jeunes ne connaissent pas le fonctionnement de leur propre appareil génital. Tout particulièrement les filles : selon le HCE, à 13 ans 84% d’entre elles ne savent pas comment représenter leur sexe, et une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle a un clitoris.
Sans éducation sexuelle par ailleurs, pour un grand nombre d’adolescents, il est difficile sinon impossible d’avoir accès à une information fiable sur la contraception, sur la protection contre les infections sexuellement transmissibles ou sur l’interruption volontaire de grossesse. Sans des cours dédiés enfin, trop de garçons et de filles débutent leur vie affective sans avoir jamais réfléchi à la notion de consentement, et se persuadent que la femme doit rester soumise. Et ces clichés renforcent à leur tour les inégalités, comme le note le HCE : "Les stéréotypes de sexe favorisent des violences sexistes sous diverses formes, touchant en particulier les jeunes femmes : harcèlement via les réseaux sociaux, agression sexuelle, prostitution, harcèlement dans les transports, mutilations sexuelles, violences au sein du couple, etc." Espérons donc que les Français prennent rapidement la mesure du problème, et cessent de diffuser des mensonges qui pourraient nuire à leurs enfants.