Immunothérapie : les ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9 pour lutter contre le cancer
Des chercheurs ont modifié des cellules du système immunitaire avec les ciseaux moléculaires Crispr pour permettre la reconnaissance des cellules cancéreuses. Une manipulation génétique réalisée avec succès et sans effets secondaires.
Crispr à l’assaut du cancer ? Des chercheurs de l'université de Pennsylvanie (Penn) ont utilisé les ciseaux moléculaires Crispr pour modifier génétiquement le système immunitaire de trois malades du cancer, et ce sans créer d’effets secondaires. Une première pour cet outil qui révolutionne la recherche biomédicale. Les scientifiques publient leurs résultats le 6 février 2020 dans la revue Science.
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Modification de l’ADN
Mais de quoi s’agit-il exactement ? Souvenez-vous, au début des années 2010, les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna découvraient la technique dite de ciseaux moléculaire nommée Crispr-Cas9. Son principe : cibler une zone précise de l’ADN - le matériel génétique - d’une cellule et y substituer un autre fragment d’ADN contenant une autre information génétique. Les applications potentielles de ces ciseaux moléculaires sont nombreuses : traiter des maladies génétiques, comprendre le rôle de certains gènes ou encore stimuler le système immunitaire.
Reconnaître les tumeurs
C’est cette dernière fonction qui a intéressé les chercheurs américains. Pour leur étude, ils ont travaillé avec deux femmes et un homme atteints de cancer (un sarcome et deux myélomes). Ils ont ensuite ciblé les lymphocytes T, des globules blancs qui appartiennent au système immunitaire. Ils en prélevé chez leurs patients et ont utilisé Crispr pour en supprimer les gènes qui les empêchent de reconnaître les cellules cancéreuses. Puis ces lymphocytes génétiquement modifiés ont été réinjectés dans le sang des patients, prêts à repérer les cellules tumorales.
Neuf mois plus tard, ces cellules étaient toujours là et sans avoir provoqué d'effet secondaire grave, ce qui "prouve le principe", selon le docteur Edward Stadtmauer, médecin de l'université de Pennsylvanie et responsable de cet essai clinique. Dans le cas d'une patiente, la durée était même d'un an, précise-t-il.
En somme, cet essai a pour but, grâce à la technologie Crispr, d’aider le système immunitaire de l’organisme à reconnaître les cellules cancéreuses et à s’y attaquer. Ce principe est celui de l’immunothérapie, qui a prouvé son efficacité depuis la dernière décennie et qui peut venir en complément de la chirurgie, de la chimiothérapie ou de la radiothérapie.
Pas encore de preuve de guérison
Pour le moment, cette étude a seulement pu prouver que la manipulation était possible et qu’elle était, jusqu’à preuve du contraire, non toxique. Ces résultats ne représentent donc qu'une étape très préliminaire et ne prouvent pas que Crispr peut guérir du cancer. "Tout ce qu'on peut dire c'est qu'on est capable de faire la modification génétique et de réinjecter les cellules sans danger", insiste Edward Stadtmauer.
Mais "la grande question à laquelle cette étude ne répond pas est de savoir si les cellules modifiées par Crispr sont efficaces contre des cancers avancés", écrivent deux chercheuses dont la co-découvreuse de Crispr, Jennifer Doudna, dans un article distinct publié par Science. Dans cette étude préliminaire, les cancers des patients ont en fait progressé, confie le docteur Stadtmauer à l’AFP.
Néanmoins, ces résultats démontrent une fois de plus l'intérêt de Crispr, déjà utilisé de façon expérimentale pour d'autres maladies, par exemple pour soigner des personnes atteintes de maladies du sang. Quoiqu'il arrive, les ciseaux Crispr se confirment comme "une technique révolutionnaire", affirme le docteur Stadtmauer. Et de nombreuses autres études seront selon lui annoncées en 2020 contre le cancer.