Les incroyables effets de l'art sur notre cerveau
Comment notre cerveau réagit lorsque nous observons une œuvre d’art ? Comment sont déterminées nos préférences esthétiques ? Pourquoi une œuvre exacerbe-t-elle certains sentiments et émotions ? Notre spécialiste répond à ces questions
La neuro-esthétique est une toute nouvelle discipline. Elle vise à comprendre comment et pourquoi trouve-t-on une œuvre belle ou pas, et que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous la regardons.
D’après les recherches, l’expérience esthétique dépend de plusieurs facteurs :
- Ce que l’œuvre représente, nos connaissances intellectuelles sur cette oeuvre, celle-ci, c’est ce qui biaiserait par exemple le jugement sur une œuvre d’un artiste connu versus inconnu.
- Notre expérience perceptive et motrice pendant que nous observons une œuvre. On sait par exemple que nous préférons les œuvres qui possèdent une certaine symétrie. Elle est utilisée par exemple en architecture pour les jardins à la française ou encore en peinture, en particulier à la renaissance.
Jardins de Lenôtre
Perugin
Titien
- La valeur émotionnelle de l’œuvre observée, c’est-à-dire les émotions qu’elle provoque en nous, ce qui va également influencer notre expérience esthétique, car certaines œuvres peuvent littéralement nous déborder d’émotions.
Peut-on être bouleversé(e) par une œuvre d’art ?
Une psychiatre italienne a décrit le syndrome de Stendhal, qu’on a également appelé le "syndrome de Florence" à partir de l’expérience d'un écrivain devant la profusion d’œuvres lors de son voyage à Florence en 1817. A la suite de cette expérience, Stendhal a écrit : " J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber."
Ce syndrome qui comprendrait des vertiges, des troubles du rythme cardiaque, voire des hallucinations a été retrouvé, d’après cette psychiatre italienne, chez 200 patients exposés à une surcharge d’art, et rapproché de ce qu’on appelle les syndromes du voyageur (comme les touristes désorientés).
La beauté d'une oeuvre influence-t-elle l'activité cérébrale ?
D’après, l’équipe d’Anton Maglione, de l’université La Sapienza à Rome, le jugement esthétique d'une oeuvre se forme très rapidement dans notre cerveau, dans les 10 à 20 secondes qui suivent la présentation d’une image.
Si un tableau est exposé devant nous, un circuit qui part de notre lobe occipital est impliqué dans la perception visuelle de l’œuvre et de notre lobe pariétal qui en apprécie l’organisation spatiale et qui va jusqu’aux aires pré-frontales et frontales concernées par l’appréciation de l’œuvre observée.
Alors que tout le cortex pré-frontal s’active, quel que soit notre jugement sur une œuvre d’art, certaines sous parties du cortex préfrontal vont s’activer sélectivement lorsqu'on juge l’œuvre comme belle.
Et l'attention ?
Il est fort probable que l’attention avec laquelle on regarde une œuvre influence l’activité électrique cérébrale. De manière intéressante, une équipe italienne a enregistré l’activité du cerveau de sujets pendant l’observation du Moïse de Michel-Ange. Cette équipe a pu montrer que les émotions et l’activité électrique sont maximales lorsque nous sommes bien en face de l’œuvre, que celle-ci est bien éclairée et que nous fixons le visage sculpté.
Des préférences esthétiques différents selon les cultures ?
On sait maintenant que les préférences esthétiques sont liées aux habitudes de lecture et donc à la culture. Nous avons pu montrer que si un enfant grandit dans une culture où on lit de gauche à droite, comme en France, il va préférer regarder des images qui ont une direction de gauche à droite. Comme par exemple le canard du haut qui regarde vers la droite, alors que c'est l’inverse pour des enfants qui apprennent à lire de droite à gauche et qui vont préférer regarder de images qui ont une direction dans le même sens que leurs habitudes de lecture, et préféreront donc l’image du bas.
C’est la même chose pour des adultes. Si on leur montre des œuvres d’art, ou des objets, il y a de fortes chances pour qu'ils préfèrent la statue du bas si nous lisons de gauche à droite et la statue du haut si nous lisons de droite à gauche.
Mais les habitudes de lecture ne sont pas les seules à influencer nos préférences esthétiques. Lorsque l'on montre des paysages, à des sujets, tous, quelles que soient leurs préférences esthétiques, préfèrent les paysages qui ont un maximum d’information à droite.
C’est probablement du à des questions d’équilibre d’activation entre les deux hémisphères. Observer cette scène est une tâche visuo-spatiale, c’est en priorité l'hémisphère droit qui s’activerait, et pour rétablir un équilibre d’activation entre les deux hémisphères, on préfèrerait les scènes avec des détails à droite, donc traités par l’hémisphère gauche. Ainsi, les deux hémisphères seraient activés simultanément. L’hémisphère droit du fait de la nature de la tâche et l’hémisphère gauche du fait de la localisation des détails.
L' expérience artistique modifie notre cerveau
On sait que le cerveau peut se modifier avec la pratique d’un art, d’ailleurs, les musiciens et les non-musiciens n’activent pas les mêmes régions cérébrales lorsqu’ils écoutent de la musique. Les musiciens activent leur hémisphère gauche comme s’il écoutaient un langage, alors que les non-musiciens activent leur hémisphère droit car chez eux, la musique n’est pas une langue.
Il y a quelques années, on a également pu montrer grâce à l’imagerie fonctionnelle, que la pratique régulière et intensive, pendant plusieurs semaines, du violon, chez des sujets qui n’étaient pas violoniste modifiait morphologiquement la taille et la forme de la région qui permet de bouger les doigts sur le violon. C’est un exemple typique de la plasticité de notre cerveau qui peut se modifier en fonction de chaque expérience et donc aussi des expériences artistiques.
On sait maintenant qu'écouter de la musique, sans forcément la pratiquer, modifierait également notre cerveau. En effet, lorsqu’on écoute un morceau que l'on aime, on active le système de la récompense car notre cerveau fait une prédiction sur ce qui est à venir, et se trouve récompensé d’être confirmé dans ses prédictions. Par exemple, lorsque vous écoutez la 5ème symphonie de Beethoven, et que vous entendez "Pom, Pom, Pom, Pom" une première fois, votre cerveau s’attend, si vous connaissez l’œuvre à entendre la même séquence mais dans une autre tonalité, et il va vivre comme une récompense le fait de l’entendre.