Risque cardiovasculaire : des chercheurs dénoncent une méthode de calcul erronée
Selon plusieurs études, une méthode de calcul du risque cardiovasculaire proposée fin 2013 par deux collèges d’experts indépendants s’avère beaucoup trop alarmiste, conduisant de nombreux patients à être traités sans raison valable. Les derniers travaux en date, publiés le 2 mai, confirment que cet outil de référence est biaisé.
Institutions reconnues aux Etats-Unis, le Collège américain de cardiologie (ACC) et l’Association américaine du cœur (AHA) fédèrent de nombreux experts des maladies cardiovasculaires. Afin d’aider les médecins à estimer, de façon précise, les risques encourus par leurs différents patients, l’ACC et l’AHA ont mis à disposition fin 2013 une méthode de calcul synthétique [1] : l’ACC/AHA Pooled Cohort Risk Equation. Outre les habitudes de vie des patients, le calculateur prend en compte leur âge, leur sexe, ainsi que leur origine ethnique (certaines variations génétiques liées à des sur-risques étant plus fréquentes dans certaines populations).
Mais, rapidement, des chercheurs de plusieurs pays ont émis des doutes sur la fiabilité de l’équation : en appliquant les règles de calcul à des populations suivies dans des certaines études antérieures, les risques de maladie cardiovasculaire obtenus semblaient supérieurs à ceux réellement observés.
Les données utilisées pour créer le calculateur dérivaient d’études menées dans les années 1990, et intégrant des volontaires d’essais cliniques d’origines ethniques peu diversifiées, et dans des classes d’âges assez limitées.
Des risques très largement surévalués
Des chercheurs californiens ont souhaité tirer l’affaire au clair, en utilisant les dossiers médicaux informatisés de 307.591 individus de 40 à 75 ans, non-diabétiques et non traités par statines, de tous âges et toutes origines, et en recensant les accidents cardiovasculaires survenus entre 2008 et 2013.
Pour toutes les catégories de population et pour tous les âges, l’ACC/AHA Pooled Cohort Risk Equation surévaluait effectivement les risques. En moyenne, là où le risque annoncé à cinq ans était de "moins de 2,5%", l'incidence réellement observée n’était que de 0,2%. Pour un risque évalué "entre 2,5% et 3,74%", l'incidence réelle n’était que de 0,65%. Pour la fourchette suivante (risque estimé entre 3,75% et 4,99%), l'incidence réelle restait inférieure à 1%. Enfin, pour les individus pour lesquels les estimations étaient les plus pessimistes (risque égal ou supérieur à 5%), seuls 1,85% d’entre eux avaient réellement vécu un accident cardiovasculaire.
Une estimation a également été réalisée à partir de 4.242 dossiers médicaux de patients diabétiques. Pour les patients dont le risque était calculé "inférieur à 2,5%", l’estimation semble là encore très largement surévaluée [2]. Pour les autres groupes, l’incidence observée était globalement conforme aux prévisions du calculateur.
Échantillon non représentatif
Selon les auteurs de ces travaux (publiés dans la revue officielle de l’ACC), plusieurs erreurs méthodologiques auraient été commises par les concepteurs de l’outil. Ainsi, la population initialement analysée n’était pas représentative, s’agissant de volontaires d’essais cliniques, avec des profils socio-économiques, ethniques, d’âge, et des antécédents médicaux particuliers (on parle ici de "biais d’échantillonnage" [3]). Les chercheurs notent en outre que les stratégies de prévention et de diagnostic ont énormément progressé en deux décennies.
Dans la presse, le docteur Lloyd-Jones, co-auteur des préconisations de 2013, a jugé la nouvelle étude également biaisée. Selon lui, le nombre d’individus en bonne santé dans les dossiers médicaux n’est pas, non plus, représentatif de la "population générale". Mais l’équation est sensée permettre d’estimer un risque pour tout sous-groupe de population… ce qu’il échoue clairement à faire chez des non-diabétiques et des personnes qui ne suivent pas de traitement pour une maladie cardiovasculaire.
Les chercheurs californiens considèrent qu’un calculateur comme celui proposé par l’ACC/AHA pourrait constituer, s’il était recalibré, un outil utile pour les médecins. Mais, en l’état, celui-ci conduit les professionnels de santé étasuniens à placer sous traitement des individus dont le risque est, en réalité, très faible. Avec le calculateur actuel, un homme sans antécédents familiaux, dont l’hygiène de vie serait en tout point excellente, pourrait se voir proposer des statines dès lors qu’il atteint un certain âge.
Source : Accuracy of the Atherosclerotic Cardiovascular Risk Equation in a Large Contemporary, Multiethnic Population. J.S. Rana et al. JACC, 2016. doi:10.1016/j.jacc.2016.02.055
[1] Les méthodes de calcul ont fait l’objet de publications dans le Journal of the American College of Cardiology en 2014 :
- 2013 ACC/AHA guideline on the assessment of cardiovascular risk: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. DC Goff Jr et al. J Am Coll Cardiol, 2014 doi:10.1016/j.jacc.2013.11.005
- 2013 ACC/AHA guideline on the treatment of blood cholesterol to reduce atherosclerotic cardiovascular risk in adults: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. N.J. Stone et al. J Am Coll Cardiol, 2014 doi:10.1016/j.jacc.2013.11.002
[2] Du fait du plus petit nombre de patients étudiés, les résultats obtenus sont associés à des marges d’erreur assez importantes. Pour les groupes dont le risque de maladie cardiovasculaire était "inférieur à 2,5%", l’incidence observée était de 0,1%, ce qui permet d’affirmer avec un haut degré de confiance que, dans une population de même profil, l’incidence ne dépasserait que très rarement 0.85%.
[3] Un exemple typique de biais d’échantillonnage : estimer la fréquence d’une maladie en calculant le nombre de personnes atteintes parmi l’ensemble des patients d’un hôpital… ce qui revient à exclure du calcul l’ensemble de la population qui n’est atteinte d’aucune pathologie nécessitant un passage à l’hôpital.