Sexe et alcool ne font pas bon ménage
Beaucoup d'idées reçues circulent sur le lien entre alcool et sexualité. Quel est vraiment l'effet de l'alcool sur la sexualité ? Les explications avec le Dr Philip Gorwood, psychiatre.
- J'ai besoin d'un peu d'alcool avant nos relations sexuelles, est-ce normal ?
Dr Philip Gorwood, psychiatre : "L'alcool a des effets que l'on ressent comme positifs, donc l'aspect facilitateur est attendu. Mais il n'en est rien.
- Au niveau mécanique, on observe une diminution linéaire de l'excitation sexuelle physiologique (rigidité pénienne, délai à l'éjaculation chez l'homme, flux sanguin et lubrification vaginale chez la femme) en fonction de l'alcoolémie.
- L'alcool à petite dose peut être qualifié de facilitateur de la sexualité (libido), mais cet effet est expliqué par un effet d'attente (aucune distinction avec le placebo). En effet, des sujets qui ont bu des boissons apparemment alcoolisées mais sans alcool avaient exactement le même effet apparemment bénéfique.
- L'effet d'attente est d'autant plus marqué que les individus sont stressés. Le bénéfice vient donc de l'effet anxiolytique de l'alcool, et l'effet anxiolytique diminue avec le temps, qui à terme favorise l'anxiété (par tolérance) qui requiert répétition et augmentation des consommations, c'est-à-dire favorise la dépendance.
La dépendance installée chez un des conjoints entraîne une mésentente conjugale, des dysfonctions sexuelles, une pauvreté de communication, des violences physiques et verbales et un plus fort taux de séparation par rapport à la population générale."
- Le risque d'agression sexuelle au cours d'une soirée est augmenté quand les autres sont alcoolisés, pas soi-même ? Est-on plus à risque d'être sexuellement agressée quand on est alcoolisée ?
Dr Philip Gorwood, psychiatre : "La réponse est clairement oui, puisqu'on retrouve parmi les agressions sexuelles chez les étudiants, que dans la moitié des cas l'agresseur, ou l'agressé, ou les deux, sont alcoolisés. Une étude de suivi a permis de mieux comprendre le phénomène. 500 étudiants en première année de fac ont été suivis pendant deux mois pour leur consommation d'alcool et leurs relations sexuelles, en distinguant les relations avec des nouveaux ou des anciens partenaires, et avec ou sans agression.
"La consommation récente d'alcool (dans les quatre heures) réduit les rapports sans agression avec une partenaire habituelle (- 10%), réduit les rapports avec agression avec une partenaire habituelle (- 5%), mais augmente les rapports avec une nouvelle partenaire sans agression (+ 15%) et encore plus avec agression (+ 25%). L'alcool facilite donc les nouvelles relations sexuelle et l'agression, d'autant plus quand il s'agit d'un nouveau partenaire. L'étude montre aussi que les traits ou tempéraments à risque (hostilité envers les femmes, comportements antisociaux) sont peu prédictifs. L'explication pourrait venir du fait que l'alcool influence le jugement et perturbe la perception des intentions du partenaire.
"Les jeunes qui consomment de l'alcool ont donc une sexualité plus à risque que ceux qui n'en consomment pas. C'est une préoccupation majeure sur les campus d'étudiants… Donc si on boit avec une recherche de partenaire, on modère sa consommation d'alcool, et si on dérape, on s'entoure d'amis sûrs qui peuvent nous aider à affiner notre qualité de jugement...
- Pourquoi l'alcool est-il ressenti comme augmentant la qualité des expériences sexuelles ?
Dr Philip Gorwood, psychiatre : "Une étude récente a permis de challenger l'idée d'un lien positif entre alcool et sexualité en interrogeant 7.500 jeunes adultes plusieurs fois.
"Les sujets qui pensent fortement que l'alcool facilite et désinhibe les relations sexuelles boivent plus avant les relations sexuelles. Néanmoins, tous les sujets ont une évaluation plus favorable de leur relation sexuelle quand elle est sans alcool. De plus, les sujets qui sont persuadés que l'alcool est positif pour eux ne rapportent pas une relation sexuelle plus épanouie après consommation (sentiment amoureux, excitation, émotions positives, efficacité et bénéfices perçus). Enfin, ce sont les sujets qui ont un niveau d'attente le plus élevé sur l'effet stimulant de l'alcool qui consomment le plus et qui décrivent le plus un effet de stimulation à forte dose d'alcool.
"Au total, la consommation d'alcool les jours de rapports sexuels ne montre donc AUCUN bénéfice pour la très grande majorité des sujets, et pour l'essentiel des paramètres mesurés. Alors comment expliquer le fait que l'alcool est ressenti comme augmentant la qualité des expériences sexuelles ? On peut penser que l'effet placebo est au coeur de ce ressenti. Car même si c'est artificiel, cela semble aider avant, et sans autre aide de substance (non addictive ou dangereuse), la nature humaine aime se rassurer, même s'il s'agit d'une illusion."