Française des Jeux : la privatisation va-t-elle favoriser l'addiction ?
Les médecins et associations qui militent contre les addictions aux jeux sont inquiets de cette opération financière qui rencontre un grand succès populaire. Les Français ont souscrit pour plus d’un milliard d’euros d’actions de la FDJ.
Jusqu’à présent, l’Etat contrôlait 72% de la FDJ, c’était donc l’actionnaire majoritaire et son pouvoir décisionnaire était fort. Il ne détiendra bientôt plus que 20% : 20 % des parts ont déjà été vendues au grand public, 5 % aux salariés et le reste va être vendu à des gros actionnaires privés institutionnels.
La question qui se pose est "comment cette entreprise devenue privée va-elle se comporter auprès des joueurs ? La privatisation va-t-elle favoriser l’addiction aux jeux "? Certains addictologues, l’observatoire des jeux, ou encore des associations comme SOS joueurs en sont persuadés.
Que craignent précisément les associations ?
Les associations craignent qu’une fois la FDJ (La Française des Jeux) privatisée, la recherche du profit à tout prix fasse oublier la protection à l’addiction des joueurs en mettant sur le marché des jeux très addictifs comme les jeux de grattage.
En 2014 déjà, l’Etat avait décidé de retirer des jeux comme le "rapido", une espèce de loto instantané dans lequel le nombre de joueurs accrocs devenait problématique.
Le président de l’époque s’appelait Christophe Blanchard-Dignac, il déclarait récemment à la presse "Qu’il était parfois difficile d’arbitrer entre les résultats de l’entreprise (faire du chiffre d’affaire) et la responsabilité sociale de l’entreprise (protéger les joueurs). Il n'est pas sur selon les associations qu’à l’avenir avec un actionnariat privé, cet arbitrage soit fait en faveur des joueurs.
Que représente l’addiction aux jeux en France ?
Actuellement le jeu dit "problématique" touche environ 5% des joueurs, soit plus de 1,2 million de personnes selon l’ODJ (Observatoire Des Jeux).
Parmi elles,1 million présente un risque modéré et 200 000 ont une pratique pathologique. Si les joueurs problématiques sont minoritaires, ils génèrent en revanche 40% du CA de la FDJ.
À chaque fois que le chiffre d’affaire de la FDJ augmente d’un point, on accroît d’environ 1 000 le nombre de joueurs pathologiques. Le problème c’est qu’on a parfois du mal à considérer l’addiction au jeu comme une vraie pathologie. Or, les associations pointent un coût social important : chômage, divorce, dégradation de l’état de santé, surendettement, dépression, suicide...
Comment peser dans le débat ?
À défaut de pouvoir l’empêcher, ces associations et ces acteurs de santé publique ont essayé de faire valoir leur point de vue concernant cette privatisation afin d’en limiter les conséquences sur les joueurs. Ils se sont rapprochés de députés au sein de l’Assemblée nationale, Régis Janico et Olga Givernet sensibles au problème car tous les deux ont rédigé un rapport sur les jeux.
Ensemble, ils ont poussé à la création d’un nouvel organe de régulation des jeux, l’Autorité Nationale des Jeux qui devrait voir le jour le 1er janvier prochain. A l’exception des casinos qui restent dans le giron de Bercy, son rôle sera entre autres de prévenir le jeu excessif et d’assurer la protection des mineurs. Par exemple, pour chaque nouveau jeu mis sur le marché, la FDJ devra demander une autorisation à l’ANJ. L’ANJ pourra aussi retirer un jeu du marché si elle le juge nécessaire etc…
Des associations et des acteurs de santé satisfaits
Comme le dit Jean-Michel Costes de l’observatoire des jeux, le diable se cache dans les détails. Pour le moment on ne sait pas si l’ANJ aura les moyens d’être efficace, ni qui sera nommé. Il y a un point qui fâche Monsieur Costes c’est la publicité. Il aurait aimé qu’on interdise tout simplement la publicité pour les jeux, comme on le fait pour le tabac. Aujourd’hui la réglementation est quasi inexistante, excepté la publicité de jeux vers les mineurs qui est interdite.
La FDJ s’est pourtant engagée à mettre 10% de son budget pub au service de la prévention contre l’addiction et l’interdiction pour les mineurs. Pour Jean-Michel Costes ce n’est pas suffisant. Selon lui, les études montrent que les messages du type "Jouer comporte des risques" qu’on entend en fin de publicité n’auraient aucun impact.
La publicité contre les risques inquiète les actionnaires
Il y a deux semaines la FDJ faisait un tour de France pour rencontrer ses futurs investisseurs. Le journal Le Parisien rapporte qu’un actionnaire a posé la question suivante "Vous comptez développer la publicité contre les risques d’addictions mais est-ce que ça ne risque pas de faire baisser les mises" ? Des actionnaires préoccupés par la rentabilité de l’entreprise avant tout c’est exactement ce que craignaient les opposants à cette privatisation.
Des professionnels de santé pessimistes et inquiets
Certains professionnels ne sont pas aussi pessimistes quant à la privatisation. Interrogé Hervé Martini, médecin addictologue au CHU de Nancy membre de l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie ...) considère par exemple que cette privatisation va permettre de clarifier le rôle de l’Etat qui pourra se concentrer sur la protection des joueurs à condition que les financements suivent et ainsi se détacher des intérêts de rentabilité de l’entreprise. Il ne sera donc plus juge et partie. Dans tous les cas il faudra attendre au moins une année pour voir les effets de cette privatisation sur les joueurs.