Une maladie génétique rare frappe une communauté isolée de mormons polygames
En pratiquant la polygamie, des adeptes de l'Eglise mormonne vivant dans l’Utah ont multiplié les risques d’être victimes d’une maladie génétique rare touchant le développement du cerveau. Après quelques générations, un nombre élevé d’enfants issus de cette communauté ont des problèmes pour se déplacer et présentent des traits caractéristiques de la maladie sur leur visage.
Le front proéminent, les oreilles plus basses que la normale, des yeux écartés, une machoire étroite et une incapacité à marcher. Les traits sont caractéristiques d’une déficience de fumarase, une enzyme commune à la plupart des êtres vivants sur terre et essentielle à l’apport de l’énergie dans nos cellules.
Cette déficience pose un sérieux problème à notre cerveau. L’organe ne pèse que 2% de notre poids, mais consomme 20% de l’énergie que l’organisme produit. Un défaut de fumarase, et le cerveau paye, causant un développement retardé, des syncopes et des malformations comme celles décrites plus tôt.
En principe, le risque de posséder cette anomalie génétique est mince : un sur 400 millions. Seuls treize cas avaient été diagnostiqués avant que les médecins ne découvrent l’épidémie qui frappe la petite ville de Short Creek, 7000 habitants.
Une proportion de déficience de fumarase un million de fois supérieure à la normale
Située aux Etats-Unis, à la frontière de l’Utah et de l’Arizona, la bourgade est composée d’adeptes de l’Eglise fondamentaliste de Jésus-Christ des Saints des derniers Jours. De mormons, pour abréger. L’Eglise officielle refuse la polygamie, comme on le lire sur la version française de son site : "L’Église n’a rien à voir avec ceux qui pratiquent la polygamie. Ils ne sont pas membres de cette Église… Si l’on apprend que l’un de nos membres pratique le mariage plural, il est excommunié, la peine la plus grave que l’Église puisse appliquer." Dixit Gordon B.Hinckley, 15e président de l’Eglise mormonne.
Le "mariage plural" était pourtant la norme à la création de cette branche du christianisme. Mais il a été interdit par l’Etat d’Utah en 1930 sous peine d’une peine d’emprisonnement et d’une amende se comptant en milliers de dollars. De quoi inciter les adeptes de la polygamie à se réfugier près de la frontière avec l’Arizona, dans une large zone, idéale pour cacher ses mœurs aux autorités.
A Short Creek, où les hommes sont en moyenne mariés à trois femmes, l’Institut Neurologique de Barrow a découvert neuf enfants, de 20 mois à 12 ans, présentant les traits caractéristiques de la déficience de fumarase. Une proportion gigantesque, un million de fois supérieure à celle que les scientifiques connaissent dans le reste de la population.
Les hommes polygames ont une influence disproportionnée sur la génération suivante
Le lien entre cette anomalie génétique et la polygamie découle d’un simple calcul : Brigham Young, fondateur de Salt Lake City, a eu 204 petits-enfants. En 1982, il était établi qu’il possédait 5000 descendants directs. Un mormon moyen, avec trois femmes et trente enfants, pourrait théoriquement avoir 24 millions de descendants en cinq générations. En pratique, dans ces communautés, les cousins finissent par se marier entre eux et tous les membres font plus ou moins partie de la même lignée.
Selon l’historien Benjamin Bistline, cité par l’agence Reuters, de 75 à 80% des habitants de Short Creek ont une relation directe avec les deux fondateurs de la communauté, Joseph Jessop et John Barlow. "Avec la polygnie (un homme et plusieurs femmes), vous réduisez la diversité génétique du groupe, explique le généticien Mark Stoneking, interviewé par la BBC. Quelques hommes ont un impact disproportionné sur la génération suivante."
Un bienfait pour l’avancée des connaissances médicales
Si un petit groupe d’hommes prend pour épouses de nombreuses femmes, les autres ne peuvent pas en avoir une seule. Ils sont donc éloignés de la communauté pendant leur adolescence. "Ils sont conduits jusqu’à l’autoroute par leur mère au milieu de la nuit et laissés sur le bord de la route", révèle pour la BBC Amos Guiora, expert des extémismes religieux à l’université d’Utah.
Les mormons ne sont pas la seule communauté touchée par les maladies génétiques. D’autres groupes polygames, comme au Cameroun, sont porteurs d’anomalies rares en proportions importantes. Ce qui, bonne nouvelle, permet aux chercheurs d’étudier le lien entre ces anomalies et les maladies, puisque une modification génétique seule n'est pas significative. Elle le devient une fois liée aux renseignements que possèdent les médecins sur une maladie. La polygamie, controversée moralement, punie juridiquement et donc risquée médicalement, se révèle parfois utile pour l’avancée des connaissances scientifiques.