Covid-19 : ce que la crise a appris aux médecins
En l’espace de quelques mois seulement, les connaissances sur le coronavirus ont explosé. La prise en charge a donc évolué entre les premiers patients et ceux d’aujourd’hui, et sera encore modifiée en cas de deuxième vague.
Il y a six mois, le coronavirus était encore un inconnu pour les scientifiques. Mais en très peu de temps, crise sanitaire oblige, les connaissances sur ce virus et sur la maladie qu’il provoque se sont multipliées. Une progression rapide qui a permis aux médecins de mieux soigner les patients et de mieux adapter leur prise en charge, nous explique le professeur Djillali Annane, chef du service de réanimation à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches, dans les Hauts-de-Seine.
- Quels sont les principaux enseignements que vous tirez aujourd’hui de la crise sanitaire du coronavirus ?
Pr Annane : Une des choses les plus importantes que cette épidémie nous a appris concerne la gestion des patients. Au début de la crise, nous préconisions notamment que les patients qui ne présentaient pas de gêne respiratoire restent chez eux et qu’ils n’appellent le 15 que s’ils ressentaient des difficultés à respirer.
On sait aujourd’hui que cette consigne a conduit à un retard de prise en charge des patients, car il y a un décalage entre l’hypoxie - le fait de manquer d’oxygène dans le sang - et la dyspnée - c’est-à-dire la perception d’une gêne respiratoire. Il faut en effet plusieurs jours d’hypoxie avant que le patient commence à se sentir gêné pour respirer. Il aurait donc fallu mettre plus tôt les patients sous oxygène.
De même, beaucoup de patients présentent des petits thrombus notamment au niveau pulmonaire, au niveau rénal, au niveau cardiaque et aussi probablement au niveau cérébral. Pour prévenir la formation de ces petits caillots, on peut mettre les patients sous anticoagulant. Là encore c’est une prise en charge que nous n’avons mise en place qu’à la fin de l’épidémie mais qui possède un impact important sur le pronostic.
- Avez-vous également progressé dans la prise en charge des patients en réanimation ?
Pr Annane : Au début de l’épidémie, nous choisissions une ventilation mécanique artificielle invasive, par intubation, dès lors que les patients avaient besoin d’au moins six litres d’oxygène. Pourquoi par intubation ? Parce que nous avions peur que les masques de ventilation favorisent la propagation du virus dans l’air et contaminent les soignants.
Mais petit à petit, nous avons acquis suffisamment d’éléments pour savoir que ce risque était en fait assez faible. Nous avons donc préféré des ventilations moins invasives et moins agressives. Nous avons réservé l’intubation aux formes graves uniquement, puisqu’elle comporte des risques, notamment d’arrêt cardiaque ou d’infection pulmonaire.
- Est-ce que ces évolutions de prise en charge ont eu un impact positif sur la survie des patients ?
Pr Annane : Nous sommes en train de regarder si le taux de mortalité a diminué entre le début et la fin de la crise, avec l’évolution de la prise en charge.
Je pense intuitivement que c’est le cas. Pas parce que la maladie est devenue moins grave mais parce que nous avons mieux compris la maladie et donc mieux pris en charge les patients.
- En cas de deuxième vague, au regard de ces avancées, que feriez-vous différemment ?
Pr Annane : Nous mettrions les patients plus tôt sous oxygène. Cela ne signifie pas qu’ils seraient hospitalisés, puisque l’oxygénation peut se faire à domicile. Il suffit de prendre la saturation en oxygène du sang grâce à un saturomètre qui effectue une simple mesure indolore au bout du doigt. Les patients avec un faible taux seraient placés sous oxygène. Cette prise en charge éviterait un certain nombre d’aggravation.
De même, nous placerions sous anticoagulants de façon préventive les patients qui présentent des symptômes du Covid-19 et un test positif.
D’ici une éventuelle deuxième vague, nous espérons surtout avoir plus de connaissances sur les traitements. C’est pour cela qu’il faut continuer d’évaluer les médicaments comme le remdesivir ou l’hydroxychloroquine pour connaître leur intérêt, savoir s’ils peuvent ou non être utiles, au moins à certains malades ciblés.
Il faut aussi creuser la piste des médicaments immunomodulateurs, pour lesquels nous avons encore très peu d’information. En quatre mois, nous avons déjà plus de 20.000 articles scientifiques et 1.000 essais cliniques sont encore en cours dans le monde. Des informations vont donc encore arriver dans les prochaines semaines et permettront encore de mieux prendre en charge les patients.