Cholestérol et risques cardiovasculaires : un nouveau pavé dans la mare ?
La molécule était prometteuse : dans les essais cliniques, l’evacetrapib modulait de façon très efficace les taux de transporteurs du cholestérol dans le sang. Une alternative aux statines, qui réjouissait d’avance son promoteur, le groupe pharmaceutique Eli Lilly. Pourtant, une vaste étude révèle que l’effet sur le risque cardiovasculaire est inexistant.
Durant des décennies, les transporteurs du cholestérol ont été désignés comme l’un des indicateurs clef du risque cardiovasculaire. Des études épidémiologiques avaient en effet suggéré une forte corrélation entre de hauts taux de transporteurs à faible densité (les fameux "LDL", popularisés sous le nom de "mauvais cholestérol") et les maladies cardiaques. Même si la validité et l’universalité de ces recherches a depuis été contesté, ceci n’a eu que peu d’influence sur le succès des médicaments anti-cholestérol.
À en croire une partie des études, l’administration de statines – véritables stars des molécules "anti-cholestérol" – aux patients survivants d’un accident cardiovasculaire réduirait le risque de récidive. Aux Etats-Unis, il existe un intense lobbying pour que ces statines soient administrées en "prévention primaire", c’est-à-dire aux patients présentant de forts taux de cholestérol LDL qui n’ont encore eu aucun problème vasculaire et cardiaque. Le bénéfice réel d’une telle intervention n’est cependant pas démontré.
L’utilisation de statines est associée à de nombreux effets secondaires (notamment musculaires), aussi de nombreux laboratoires sont à la recherche d’alternatives thérapeutiques anti-cholestérol. Une nouvelle classe de médicaments, capable de limiter les échanges de cholestérol entre les transporteurs LDL et HDL, semblait prometteuse sur le papier [1]. Si les premiers candidats évalués ont déçu [2], le groupe pharmaceutique Eli Lilly avait identifié un champion : l’evacetrapib.
En effet, durant les phases préliminaires de tests, cet evacetrapib diminuait d’un tiers le taux de LDL, et parvenait à doubler le taux de HDL (transporteurs de haute densité, réputés bénéfiques). Un vaste essai clinique, initié il y a quelques années sur 12.092 patients, est venu confirmer cet effet biologique. Mais en octobre 2015, Eli Lilly interrompt prématurément cette étude, à la surprise de nombreux observateurs.
Un échec cuisant
Les raisons de cet arrêt ont été précisées ce 3 avril lors d’un important congrès international de cardiologie [3]. Durant l’étude, sur environ 6.000 participants sous evacetrapib, 256 ont fait une crise cardiaque. Dans le groupe témoin, qui prenait un placebo, le nombre de crise cardiaque était de… 255, soit une totale absence de différence statistique. De même, le nombre d’AVC dans le premier groupe était de 82, contre 95 dans le groupe placebo. Et le nombre de décès liés aux maladies cardiovasculaires de 434, contre 444. En bref : l’evacetrapib n’a absolument aucun intérêt thérapeutique.
Cité par le New York Times, le docteur Stephen Nicholls, responsable de l’étude avortée, résume l’interrogation qui se trouve sur toutes les lèvres : "nous avions un médicament qui semblait agir sur tout ce qu’il fallait ; […] comment un traitement qui diminue quelque chose identifié comme délétère ne peut entraîner aucun bénéfice ?"
Quelle explicaton à ce paradoxe ?
Doit-on conclure que les taux de LDL habituellement associés au risque cardiovasculaire sont moins une cause qu’un symptôme des maladies cardiovasculaires ? Pas nécessairement. Ainsi, il est possible que l’evacetrapib, en diminuant d’un côté un facteur de risque, en augmente parallèlement un second, encore non identifié.
Il faut observer que 96.4% des participants à l’étude étaient, initialement, traités sous statines. Une hypothèse alternative pourrait être que cette succession de traitements a des effets délétères. Quoi qu’il en soit, cet échec conduit à la mise au rebut définitive de l’evacetrapib – et peut-être de l’ensemble des inhibiteurs de CETP.
[1] Ce sont les inhibiteurs de la protéine de transfert des esters de cholestérol (inhibiteurs de CETP).
[2] Ces échecs étaient soit liés à des effets secondaires toxiques (pour une molécule nommée torcetrapib), soit à l’incapacité à diminuer les taux de LDL (dalcetrapib).
[3] "Impact of the Cholesteryl Ester Transfer Protein Inhibitor Evacetrapib on Cardiovascular Events: Results of the ACCELERATE trial".