Pédocriminalité dans l’Église : le bilan est "accablant"
Après deux ans et demi de travaux, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise pointe la responsabilité "systémique" de l’institution ecclésiastique.
Depuis 1950, 216 000 personnes en France ont été victimes de violences ou d’agressions sexuelles dans leur enfance par des clercs ou des religieux. Ce chiffre effroyable a été communiqué par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase), qui a rendu ses conclusions le 5 octobre.
"C’est atroce", souffle Arnaud Gallais, cofondateur du collectif 'Prévenir et Protéger' et victime de viol par un grand-oncle missionnaire. "On estimait ce chiffre autour de 100 000. C’est une boucherie."
Si l'on ajoute les personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l’Église catholique (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse...), le nombre estimé de victimes grimpe à 330.000
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Une responsabilité "systémique" de l'Eglise
Selon Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase, ces actes de pédocriminalité ne sont pas isolés et l’Église a sa part de responsabilité. Les "silences" et les "défaillances" de l’institution face aux abus commis en son sein présentent selon la commission un "caractère systémique".
Après une longue délibération, la Ciase a établi une "conclusion unanime". "L’Église n’a pas su voir, n’a pas su entendre, n’a pas su capter les signaux faibles", a expliqué Jean-Marc Sauvé.
Arnaud Gallais approuve. Le prêtre qu'il accuse d'abus sexuels a été "déplacé de pays en pays car il aimait bien les petits garçons, raconte-t-il. L’Église avait toutes les informations, mais elle n’a fait que déplacer le problème !"
Des faits constamment minimisés
Pour la Ciase, l’Église a minimisé toutes ces affaires d'agressions sexuelles.
Et Arnaud Gallais peut en témoigner. "Le frère du prêtre qui m'a agressé est aussi un religieux. Il m'a envoyé une lettre. Il qualifiait ce qui s’est passé de ‘faute’, alors que c’était un viol, raconte-t-il. J’ai été sodomisé à huit ans, c’est d’une violence inouïe ! Et il répétait ‘Dieu est pardon’, comme si cela pouvait excuser ce qui m’était arrivé."
Dans le courrier, ce frère invoque la "solidarité entre prêtres" pour justifier son inaction, rapporte M. Gallais. "S'il était au courant des actes de son frère, je pense que d'autres savaient", ajoute-t-il.
Des suites judiciaires
La Commission a "effectué 22 signalements aux parquets" dans des dossiers dont elle a eu connaissance, a déclaré M. Sauvé. Parmi eux, celui de Arnaud Gallais. "Après
avoir témoigné devant la Commission, j’ai pris conscience des
conséquences judiciaires que pouvait entraîner mon vécu. Pour l’enfant
qui est encore en moi, une sanction pourrait achever cette histoire."
Un juge d’instruction s'est saisi de son affaire. Arnaud Gallais a d'ailleurs été entendu par la brigade des mineurs. "Je veux voir si l’Église est un justiciable comme les autres. Il
faudrait une condamnation de tout ce système. L’État doit rappeler que
la loi existe pour tous, l’Église ne peut pas se substituer à la loi !", explique Arnaud Gallais.
Des traumatismes lourds
Ces abus sexuels ont laissé des traces dans la vie des victimes. Arnaud Gallais est bien placé pour le savoir. Pendant 15 ans, il a souffert d'amnésie traumatique avant que son traumatisme refasse surface.
"Ce ne sont pas 216 000 personnes, mais 216 000 familles entières qui ont été brisées, précise-t-il. Ma mère est victime elle aussi de ce que j’ai subi, imaginez son traumatisme !"
Les recommandations de la Ciase
Puisqu’elle considère l’Église comme responsable de ces abus sexuels, la Ciase a proposé une liste de 45 mesures qui devraient permettre d’enrayer ce "caractère systémique". Parmi ces propositions, des indemnisations pour les victimes, la mise en place de cellules d’écoute, et la reconnaissance par l’Église de sa responsabilité.
Jean-Marc Sauvé a évoqué le secret de la confession. Pour la Ciase, cette pratique religieuse ne peut plus déroger à l’obligation de signaler aux autorités un abus particulièrement grave.
"Le secret de la confession devrait fonctionner comme le secret médical, revendique Arnaud Gallais. Un médecin par exemple doit dénoncer les faits de pédocriminalité qui lui sont signalés."
Pour lui, le secret de la confession ne doit pas faire exception.