Le "droit à la déconnexion" pourrait entrer dans le code du travail
A l'heure du tout connecté et de la perméabilité entre vies professionnelle et privée, le "droit à la déconnexion" ou droit de ne pas répondre à ses courriels ou messages professionnels hors temps de travail, pourrait faire son entrée dans le code du travail en 2016.
Dans un récent rapport sur l'impact du numérique sur le travail commandé par le gouvernement, le DRH d'Orange, Bruno Mettling, a préconisé l'instauration d'un "droit à la déconnexion professionnelle, qui doit se généraliser par négociation d'entreprise". Il assortit cette proposition d'un "devoir de déconnexion dont le respect incombe à tout un chacun mais aussi à l'entreprise", tenue de "former ses collaborateurs au bon usage des outils digitaux".
Une piste que souhaiterait explorer Myriam El Khomri, la ministre du Travail, dans son projet de réforme du Code du travail, et qui rencontre l'intérêt de nombreuses entreprises et syndicats.
Quels dangers ? Quels garde-fous ?
"L’hyper-connexion représente un risque réel pour la santé, et l'employeur a l'obligation de protéger la santé de ses employés", juge ainsi Jean-Luc Molins, secrétaire national de la CGT des cadres, l'Ugict. Il se dit favorable à une loi organique qui servirait de base à des accords d'entreprise.
"Trois cadres sur quatre utilisent les NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) en dehors de leur temps de travail et 30% ne se déconnectent jamais", poursuit-il. Or, "le risque d'AVC augmente de 10% en cas de plus de 40 heures de travail hebdomadaire et de 27% à partir de 49 heures", rappelle-t-il citant une étude publiée en août 2015 dans la revue médicale The Lancet.
"Pour les cadres, très investis dans un travail qu'ils ont souvent choisi, la vie peut vite se résumer à la vie professionnelle. Quand elle bascule, tout bascule, et c'est dramatique", ajoute-t-il, évoquant plusieurs cas de suicides et de burn-out.
Une forme de "servage moderne" ?
Pour Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit social, l'idée de "confort" apporté par les outils numériques reste une "notion très personnelle". Il concède un risque de "servage moderne" mais "avec des serfs très consentants, à la fois victimes et bourreaux", et suggère "un permis de conduire sur les autoroutes de l'information" : former aux bonnes pratiques des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC).
Le "droit à la déconnexion" a été inscrit dans un seul accord de branche des entreprises du numérique et du conseil (Syntec) en 2014. "En pratique, ce droit n'existe pas car il n'y a aucune mesure contraignante", explique à l'AFP un ingénieur en génie logiciel d'un grand groupe de conseil en informatique. "On travaille en mode projet, soumis à des objectifs et à des délais extrêmes; il n'y a pas de frontière entre vie pro et vie privée."
Selon la CFE-CGC, moins de 1% des entreprises ont eu recours, à l'instar de Volkswagen, Daimler Benz ou BMW en Allemagne, à des solutions technologiques contraignantes comme la déconnexion automatique des serveurs ou la destruction automatique de mails en cas d'absence.
"Le vrai problème", juge Sylvain Niel, avocat en droit social, "c'est le contrôle tous azimuts par manque de confiance. L'outil numérique est un formidable accélérateur pour la communication entre les gens au travail mais utilisé comme moyen de contrôle, il devient un frein".
Selon une étude réalisée par l'Apec en 2014, 76% des 2,9 millions de cadres travaillant en France estiment qu'être connecté à leur entreprise en dehors de leur temps de travail leur facilite l'accès aux informations ; 72% considèrent que cela améliore leur réactivité. Une part analogue juge que cela augmente leur charge de travail.