Mauvaise observance : une facture salée !
Pour réduire la facture médicamenteuse, on évoque souvent des pistes : par exemple réduire la prescription d'antibiotiques ou augmenter celle des génériques. Mais il existe une autre solution, moins connue, qui pourrait permettre de faire d'énormes économies : améliorer l'"observance". De quoi s'agit-il exactement ? Les explications avec Maroussia Renard, chroniqueuse spécialisée en économie.
Le terme "observance" est un mot un peu compliqué pour désigner quelque chose de simple : il s'agit de bien suivre le traitement prescrit par son médecin. Cela signifie évidemment prendre correctement ses médicaments mais aussi respecter toutes les autres recommandations du type suivre un régime particulier en cas de diabète ou arrêter de fumer lorsqu'on est atteint d'une maladie cardiovasculaire…
Sur le papier cela paraît simple mais dans les faits, ça l'est beaucoup moins. On estime que la mauvaise observance concerne entre 30 et 50% des patients de manière régulière et 90% des patients atteints de pathologies chroniques à un moment donné de leur maladie. Cela recouvre des situations très différentes : un patient qui arrête ses antibiotiques au bout de deux jours parce qu'il se sent mieux, une personne âgée qui oublie régulièrement des comprimés ou encore un malade qui refuse délibérément de prendre son traitement alors qu'il souffre d'une maladie grave. Evidemment, la mauvaise observance concerne surtout les maladies chroniques avec des traitements au long cours, en particulier celles pour lesquelles les symptômes sont silencieux, comme l'hypertension artérielle par exemple.
Une mauvaise observance qui coûte cher
Tous ces médicaments qui sont mal ou pas pris du tout coûtent très cher à notre système de santé. La plupart du temps, ces médicaments sont achetés, donc la dépense est faite, simplement ils restent dans la boîte. Finalement, le coût de la mauvaise observance correspond à celui des complications et des rechutes mais il est très difficile à évaluer. Comment savoir précisément si un patient atteint d'une hypertension artérielle a fait un AVC parce qu'il n'a pas pris correctement ses médicaments ? Ce sont des coûts indirects, inobservables donc on est obligé de faire des modélisations compliquées pour arriver à des estimations.
En France, la mauvaise observance coûterait deux milliards d'euros chaque année à l'Assurance maladie et certains domaines sont particulièrement touchés : une étude montre que 40% des dépenses hospitalières en psychiatrie sont attribuables aux rechutes liées à un défaut d'observance.
Un véritable enjeu de santé publique
Au-delà de l'aspect économique, la mauvaise observance représente un véritable enjeu de santé publique. Une prescription non-respectée, c'est de l'argent gâché mais surtout, c'est un patient qui ne se soigne pas ou mal et donc qui prend le risque d'avoir des complications ou de rechuter. Et le phénomène n'a rien d'anecdotique puisqu'on estime que la mauvaise observance entraîne plus d'un million de journées d'hospitalisation et pas moins de 8.000 décès chaque année en France.
La mauvaise observance représente aussi un danger pour la collectivité. Par exemple, pour les pathologies infectieuses, le fait de ne pas bien suivre son traitement peut favoriser l'émergence de souches résistantes.
Comment expliquer les comportements de mauvaise observance ?
Il existe beaucoup de raisons très différentes mais dans la majorité des cas, il ne s'agit pas d'un oubli de la part du patient mais bien d'une décision volontaire y compris pour les maladies les plus graves pour lesquelles le fait de ne pas prendre ses médicaments peut entraîner un danger de mort (ex : sida). Ne pas suivre son traitement peut être une manière d'échapper à la maladie, de reprendre un peu de liberté, il peut s'agir d'un acte de rébellion, le signe d'un déni ou encore le moyen d'affirmer que l'on est convaincu d'être incurable.
Il y a aussi des facteurs liés à la maladie elle-même. Pour les pathologies chroniques, une forme de lassitude s'installe avec le temps et quand on sort de la phase aiguë, on peut être moins attentif au traitement. Autre explication : les contraintes liées au traitement. Lorsqu'il y a plusieurs prises de médicament par jour ou des effets secondaires très lourds, les patients peuvent renoncer. Enfin, la relation que le patient entretient avec les soignants est déterminante pour le bon suivi du traitement.
Les solutions pour améliorer l'observance
Pour qu'un malade prenne correctement son traitement, il faut avant tout qu'il ait bien compris sa maladie et les risques de complications. Or, des progrès sont nécessaires à ce niveau. Les temps de consultations sont de plus en plus réduits et une étude réalisée il y a quelques années montre qu'en moyenne un patient ne retient que 50% des informations qui lui sont transmises par son médecin, notamment parce qu'il n'ose pas toujours poser des questions même quand il y a un terme technique qu'il n'a pas compris. Cette meilleure information passe aussi par ce qu'on appelle l'éducation thérapeutique qui est très développée pour le diabète ou l'asthme par exemple.
Les pharmaciens ont également un grand rôle à jouer dans l'observance et des mesures ont été prises dans ce sens. L'Assurance-maladie a par exemple passé une convention avec les pharmaciens pour qu'ils passent des entretiens réguliers avec les patients sous anti-vitamine K, des anticoagulants prescrits en cas d'embolie, de phlébite ou après un infarctus et qui entraînent de très graves effets secondaires lorsqu'ils ne sont pas pris correctement.
Il existe un autre moyen d'améliorer le suivi des traitements : le smartphone. On parle très souvent des applications santé qui permettent de recevoir un message pour rappeler une prise de médicaments ou encore qui indique l'état de la glycémie… Or, ce n'est pas qu'un gadget. Selon une grande étude publiée à la rentrée 2014, si on utilisait davantage ces applications, cela permettrait au système de santé français d'économiser 11,5 milliards d’euros d'ici à 2017.
Plusieurs hôpitaux ont aussi mis au point un suivi à distance et les résultats sont très encourageants. Par exemple, l'hôpital de la Timone à Marseille envoie un SMS tous les jours aux patients à qui on a posé un stent (petit ressort placé dans l'artère pour éviter qu'elle se bouche) pour leur rappeler de prendre leur aspirine, indispensable pour prévenir les complications. Et ça marche : ce système a permis de réduire de 40% le nombre de patients qui oubliaient de prendre leur traitement pendant le premier mois.
Les solutions peuvent être assez simples pour des résultats importants sur le plan économique mais surtout médical. Selon l'OMS, l'amélioration de l'observance aurait plus d'impact que n'importe quelle mise au point de nouveaux médicaments.