Deuil périnatal : "On s'est retrouvés très isolés"

Avec sa présence sur les réseaux sociaux, Yannick Bourquin veut briser le tabou des "paranges", ces parents dont l’enfant est mort avant l’accouchement ou juste après la naissance. A l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation sur le deuil périnatal, il raconte son histoire.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Deuil périnatal : "On s'est retrouvés très isolés"
patrickmai875 via Visualhunt.com / CC BY-SA

Article publié le 14-10-2017

Sur Youtube, on trouve des humoristes, des cuisiniers amateurs ou des testeurs de jeux vidéo. Yannick Bourquin est lui aussi youtubeur, mais il consacre sa parole à un sujet bien plus lourd : le deuil périnatal. Une épreuve que connaissent les parents qui ont perdu un enfant entre la 28e semaine de grossesse et les premiers jours de la vie, selon la définition de périnatalité par l’OMS.

Yannick Papange, de son nom sur les réseaux sociaux (Facebook et Youtube), a perdu son fils, Gabriel, en mars 2015. Soit un mois et demi après sa naissance. Pendant la grossesse, une malformation cardiaque avait été diagnostiquée à l’enfant. L’opération menée une semaine après l’accouchement n’a pas suffi à le sauver. Depuis juin, Yannick témoigne, raconte ce qu’il a vécu dans plusieurs vidéos thématiques pour briser le tabou autour de ces situations dramatiques.

  • Vous parlez du deuil périnatal dans vos vidéos. Comment vous avez vécu la mort de votre enfant, et comment la vivez-vous encore aujourd’hui ?

Yannick Bourquin : "On a vécu une rupture. Quand mon fils était vivant et malade, il y avait un énorme accompagnement à l’hôpital. Beaucoup de moyens étaient engagés pour lui permettre de survivre et, même en soins palliatifs, tout le monde était présent pour nous. Par contre, dès qu’il est décédé, il n’y avait plus rien. On s’est retrouvés livrés à nous-mêmes ne serait-ce que pour les funérailles. Et en bonus, notre entourage avait un comportement très maladroit. On s’est retrouvés très isolés. Donc on a cherché un peu de soutien auprès des groupes de parole, auprès d’autres parents qui avaient perdu leur enfant.

C'est comme ça que j'ai commencé à lire des témoignages, à regarder des vidéos et à écouter d'autres parents. Petit à petit j'ai réussi à sortir la tête de l'eau, grâce aussi à la naissance de ma fille au mois de décembre dernier. Je me suis rendu compte que la quasi-totalité des ressources produites par des parents endeuillées l'étaient par des femmes. Je me suis dit que je pourrais peut-être apporter quelque chose en tant que père."

  • Vous parlez de rupture au moment du décès de votre fils. Comment souhaiteriez-vous que les familles soient accompagnées ?

Yannick Bourquin : "Il faudrait déjà accorder plus de jours de congés aux parents qui ont perdu un enfant. A l'époque où j'ai perdu mon fils, c'était deux jours de congés et maintenant je crois que c'est passé à cinq. Il faudrait aussi de l'aide pour organiser les funérailles, remplir les formalités administratives et mettre les parents en contact avec les associations. Il faut éviter de laisser les gens dans l'isolement.
De mon côté, j'essaye de faire un travail de sensibilisation auprès du grand public. Aujourd’hui on ne sait plus vraiment comment se comporter auprès d'une personne en deuil. Il ne faut pas avoir peur des personnes endeuillées, il faut essayer de les accompagner. Il y a des choses à dire et à ne pas dire."

  • Justement dans une vidéo vous parlez des paroles maladroites de l'entourage. Que faut-il dire et ne pas dire ?

Yannick Bourquin : "J’ai beaucoup discuté avec des parents endeuillés sur les paroles les plus douloureuses qu’ils avaient entendues. Ça tourne autour de deux axes. D'abord, tout ce qui dénigre l'importance de l'enfant. Par exemple des gens m'ont dit : "Ça valait bien le coup de le mettre au monde pour qu'il meure au bout d'un  mois et demi. Il aurait mieux valu faire une interruption médicale de grossesse." C'est une parole qui dénigre toute la valeur de la vie de mon enfant. Même si sa vie a été courte, elle est très importante pour moi. Ou alors certains ont pu dire : "Vous en aurez d'autres, vous êtes jeunes." Cela revient à dire que l'enfant est remplaçable. L'autre dimension c'est tout ce qui revient à minimiser la peine des parents. Par exemple quand les gens disent : "Mieux vaut qu'il meure jeune que plus tard." Ce sont des paroles qu'il faut éviter de prononcer.
A l’inverse, il vaut mieux demander aux parents endeuillés comment ils se sentent, leur demander de parler de leur enfant. Moi j'aime beaucoup qu'on me demande de parler de mon fils mais je n’en ai pas beaucoup l'occasion. On peut proposer aux parents de montrer des photos de l’enfant ou les accompagner au cimetière."

  • Dans une autre vidéo vous parlez de la durée du deuil. Est-ce qu'il existe une fin du deuil ?

Yannick Bourquin : "Non. C'est une cicatrice qu'on garde toute notre vie. Ça ne veut pas dire que les choses ne s'améliorent pas, parce qu’on arrive à gérer de mieux en mieux le quotidien. Je le précise parce que des gens s'imaginent que le deuil c'est six mois, un an, et après c'est terminé. Ça ne se passe pas comme ça. Avancer dans son deuil c'est réussir à créer une connexion avec la personne décédée, l'intégrer dans sa vie malgré son absence. Je fais souvent le parallèle avec les blessures physiques. Si on perd un bras, on peut apprendre à vivre avec une prothèse, à retrouver un quotidien acceptable mais on n'en guérit jamais vraiment. Le deuil est un processus sans fin, pas dans le sens ou ça ne s'améliore pas mais dans le sens où on ne sera plus jamais comme avant."

  • Vous utilisez Papange comme pseudo sur les réseaux sociaux. Pourquoi ce mot?

Yannick Bourquin : "Papange ça veut dire papa d'un ange. Les mots mamange ou parange existent aussi. Il n'y a pas de terme officiel pour désigner notre statut. Quand on perd son conjoint on est veuf ou veuve, quand on perd ses parents on est orphelins. Quand on perd son enfant, on peut parler de parents endeuillés ou de parents orphelins, même si c'est contre-intuitif. Mais il n'y a pas de nom commun, il n'y a pas de mot pour désigner cette situation."