Quand la peste faisait des ravages à Marseille
Une épidémie de peste a touché la ville de Marseille en 1720. Depuis début avril 2016, le musée de la ville expose l'ancre du Grand-Saint-Antoine. Ce trois-mâts porteur de la maladie n'aurait pourtant jamais dû entrer dans Marseille. Retour sur cette tragédie.
Elle a passé 300 ans au fond des océans, à quelques encablures de l'épave du Grand-Saint-Antoine, avant de s'ancrer définitivement, à l'air libre à l'entrée du musée d'histoire de Marseille : "C'est le seul témoignage véritable de ce bateau qui a causé la mort de près de 100.000 personnes", souligne Laurent Védrine, conservateur au musée d'histoire de la ville. Pour Michel Goury, auteur du livre "Un homme, un navire, la peste de 1720", cette ancre est le "symbole de l'épidémie de peste mais elle symbolise aussi la cupidité des hommes".
Car c'est bien l'appât du gain qui est à l'origine de ce fléau. En 1720, après un an de traversée en Orient, le Grand-Saint-Antoine revient à Marseille. À son bord, des étoffes en soie et des balles de coton. Une cargaison très précieuse qui appartient au capitaine du navire et à des riches négociants. Il faut la livrer à tout prix, quitte à passer sous silence une information qui aurait pu changer le cours de l'Histoire : "Il y a tout de même eu huit morts à bord et le capitaine sait très bien que ce sont des matelots qui sont morts de la peste, même si un certificat a été signé par les chirurgiens disant que ces personnes sont décédées à cause d'une mauvaise alimentation", raconte Michel Goury.
Grâce à la falsification des documents, les riches marchandises du trois-mâts sont débarquées aux infirmeries de Marseille et n'effectuent pas la quarantaine stricte prévue sur l'île de Jarre. Le coccobacille se répand alors dans la ville et fait ses premières victimes en juin 1720 : "Marseille est une ville très peuplée et une ville qui à un moment donné, est complètement débordée par cette maladie qui va tuer entre 30 et 50.000 personnes. Ensuite, la maladie va aussi sortir des murs de la ville de Marseille et va se propager dans toute la région, dans toute la Provence et va aller jusqu'au Gévaudan", rapporte Laurent Védrine.
Tous meurent d'une peste bubonique qui se manifeste par un gonflement des ganglions et qui entraîne un empoisonnement du sang, faute de soins. En cause, une bactérie dont le vecteur principal est la puce. Au XVIIIe siècle, les médecins l'ignorent et sont incapables d'enrayer l'épidémie. Chacun essaie alors de se prémunir de la peste comme il peut, ce que confirme Laurent Védrine : "On essayait de se protéger à travers des étoffes, à travers des longs nez dans lesquels on mettait des linges imbibés de parfum ou de vinaigre. On pensait qu'on pouvait purifier l'air et donc filtrer les miasmes de cette maladie qui était connue comme étant une maladie extrêmement contagieuse". Des recettes à base de vinaigre ou de poudre de crapauds sont même imaginées. Mais ces précautions relèvent de la superstition, elles n'ont aucune efficacité. Les pestiférés meurent par centaines et leurs corps sont entassés dans des charniers.
Fin septembre, le navire maudit, le Grand-Saint-Antoine, et ses étoffes sont enfin brûlés au large de Marseille. Mais il est bien trop tard. La peste continue de tuer et ne disparaît que deux ans plus tard, en 1722. Elle a alors décimé 100.000 Provençaux, dont près de la moitié rien que dans la cité phocéenne.