Ipergay : l'essai sida qui fait polémique
Des antirétroviraux à titre préventif contre le VIH ? L'idée n'est pas nouvelle et, a déjà fait l'objet d'expérimentations peu probantes à l'étranger. Depuis le mois de janvier 2012, un essai est en cours en France. Cette expérimentation prévoit de mesurer l'efficacité du Truvada, un médicament antirétroviral utilisé dans le traitement des infections par le VIH et pour limiter la transmission du virus de la mère à l'enfant. Cet essai biomédical, appelé Ipergay (Intervention Préventive de l'Exposition aux Risques avec et pour les Gays) est soutenu par l'ANRS (Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales). Il vise à évaluer l'efficacité du médicament dans la prévention de la transmission du VIH, auprès d'homosexuels volontaires considérés comme à risque. L'étude, menée en double-aveugle, a soulevé l'indignation d'une association : Stéphane Minouflet, président de l'association ASIGP-VIH, milite pour la suspension immédiate de l'étude. Il nous explique pourquoi.
- Que reprochez-vous à l'étude Ipergay ?
Stéphane Minouflet : "Plusieurs choses. Tout d'abord, elle est dangereuse. L'utilisation d'un groupe placebo expose ces personnes à un risque important de contamination pendant l'essai. En effet, il a été établi grâce une étude comme Iprex (menée en Amérique du Sud, Afrique et Thaïlande) que le Truvada n'apportait qu'une protection très faible contre le VIH. D'autres études utilisant aussi le Truvada, comme FEM-PrEP, qui visait à évaluer l'efficacité de ce médicament, comme moyen de prévention chez les femmes africaines séronégatives, ou encore Voice, qui utilisait un gel vaginal antirétroviral, ont été des échecs retentissants. Elles ont dû être arrêtées en cours à cause d'un nombre de contaminations identique dans les deux groupes".
"En plus de sa dangerosité évidente, l'étude est hypocrite. Prenez la posologie par exemple : les participants doivent prendre le traitement un jour avant et un jour après le rapport sexuel. Cela ne correspond en rien au mode de vie de la communauté visée. Les homosexuels ont une vie sexuelle active et imprévisible, ce qui les obligerait à prendre le Truvada en continu. Enfin, Ipergay est faussé à la base : parallèlement à l'étude, est mise en place une incitation à l'utilisation du préservatif. Comment vérifier l'efficacité d'un traitement préventif dans ces conditions ? Les auteurs de l'étude ont un discours encourageant à l'usage du préservatif, en croisant les doigts pour que les participants ne l'utilisent pas, pour avoir des résultats parlants".
- Vous êtes fondamentalement contre l'utilisation des antirétroviraux dans un but préventif. Pourquoi ?
S.M : "Passons sur le fait que la prévention par le médicament Truvada est parfaitement irréalisable pour des raisons financières. La boîte de Truvada coûte plus de 50O euros. Et l'étude est surtout nocive. Il est impensable de donner un traitement antirétroviral à des personnes saines, séronégatives. Les effets secondaires du médicament sont très lourds : nausées, vomissements, diarrhées, problèmes neuropsychologiques, problèmes de sommeil, perte de plus de 5 % du poids corporel… Et puis, les personnes sous traitement se penseraient totalement protégées. Cela conduirait inéluctablement à une désinhibition et à un abandon de la prévention qui commence par le port du préservatif."
- Alors, que préconisez-vous pour renforcer la prévention contre la transmission du virus du sida ?
S.M : "Nous militons pour une prévention renforcée. Il s'agit d'entretiens individuels de prévention, qui ont pour but de faire prendre conscience aux patients des risques de contamination par les IST (infections sexuellement transmissibles), comme le VIH, mais aussi par exemple, les hépatites. L'efficacité de ce type de prévention a été démontrée. On sait qu'elle amène à une augmentation de la fréquence d'usage du préservatif. La protection renforcée est réellement plus efficace et n'a pas les effets pervers de la prévention combinée. C'est là tout le message que l'association veut faire passer auprès de la communauté homosexuelle. Et si les responsables de l'étude Ipergay, l'ANRS et les institutions ne semblent pas nous entendre, la communauté, elle, n'est pas sourde."
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