Une pétition demande l'interdiction des relations sexuelles entre les médecins et leurs patients
Une quinzaine de médecins et de personnalités publiques exigent que l'interdiction des relations sexuelles entre les praticiens et leurs patients soit inscrite dans le Code de déontologie médicale.
"Un patient n'est pas un simple adulte libre de ses choix. La relation thérapeutique crée une vulnérabilité bien connue appelée amour de transfert", expliquent les signataires d’une pétition publiée sur franceinfo.fr mardi 27 mars. Ceux-ci réclament l’ajout d'un nouvel article au Code de déontologie médicale, qui stipulerait que "le médecin doit s'interdire toute relation sexuelle avec les patients dont il a la charge". Car à ce jour, aucune règle de cet ordre n’y est mentionnée. Et "les transgressions ne soient pas rares", affirment les signataires. Le président de la Fédération des médecins de France Jean-Paul Hamon, la pneumologue et lanceuse d’alerte Irène Frachon, l’auteure de bande-dessinées Pénélope Bagieu, la psychiatre et traumatologue Muriel Salmona et le médecin généraliste et romancier Baptiste Beaulieu en font notamment partie.
L’ajout d'un nouvel article au Code de déontologie médicale
Les signataires évoquent les expériences de trois femmes, dont les noms ont été modifiés. "Il y a Marie, qui raconte comment son psychiatre a profité de sa vulnérabilité pour la pousser à avoir des relations sexuelles avec lui. Il y a aussi Cassandre, qui s'est laissée entraîner dans une liaison ambiguë et perverse avec un autre psychiatre, de 28 ans son aîné. Il y a également Ariane, qui a subi sur le divan les assauts sexuels d'un troisième psychiatre", relate la tribune.
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L’objectif de leur revendication est donc de combler le flou juridique qui existe autour de ce sujet. Car "en cas de poursuites, les médecins abuseurs [s’en servent] dans leur défense pour échapper aux sanctions, et les plaintes des victimes déposées auprès des conseils départementaux de l’Ordre des médecins aboutissent trop souvent à des relaxes, à des sanctions symboliques voire à la culpabilisation des patients (qui sont dans leur grande majorité des patientes) !". Des victimes doublement condamnées, "à la fois par la toxicité d’une relation dont les mécanismes s’apparentent à ceux de l’inceste, et par le déni de justice qui leur fait porter à tort une responsabilité dans cette relation, alors qu’il s’agit d’un abus de faiblesse aggravé par un abus d’autorité".
"Au collectif féministe contre le viol, le numéro viol femmes informations, le 08 00 05 95 95, reçoit tous les ans plus d’une trentaine d'appels provenant de femmes qui se plaignent d’avoir été agressées par des médecins, plus particulièrement par des gynécologues ou des psychiatres. On sait que c’est 1% des femmes qui nous appellent. Donc on peut imaginer qu’on est à plus de 3 000 femmes", explique le Dr Gilles Lazimi, signataire de la tribune et membre du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes.
"C’est toujours la responsabilité de l’analysée qui est soulignée"
Une expérience que Maparole, sur le forum d’Atoute.org, le site du Dr Dominique Dupagne, relate avec douleur. Pour l'internaute, qui a été victime d'abus sexuels de la part d'un "psychiatre-psychanalyste", "c'est toujours la responsabilité de l’analysée qui est ironiquement (voire méchamment) soulignée. Ou bien alors : « Y’a qu’à faire un procès »... et « y’a qu’à aller se plaindre ailleurs ».
Mais lorsque celle-ci a effectivement décidé de se plaindre auprès de la société de psychanalyse responsable du médecin abusif, on ne l'a pas prise au sérieux. "Les psychanalystes ont fait comme si ce que je racontais n’avait aucun rapport avec leur éthique officielle : c’était encore la vie privée de chacun !... Ou bien alors c’était « mon problème inconscient », mon « rapport personnel à l’autorité », ou encore « mon fantasme délirant », etc." Finalement, Maparole a été envoyée devant le Conseil de l'Ordre des médecins. "Il a lui aussi fait semblant d’ignorer ma plainte, [affirmant] qu’il y avait une « éthique psychanalytique spécifique » concernant un psychiatre en « thérapie analytique » ou bien en « psychanalyse »", explique-t-elle.
Dans une lettre envoyée au Dr Dupagne, Marie, citée dans la pétition, raconte une expérience similaire : "Après m'avoir embrassée, [le psychiatre] a ouvert son agenda et m'a fixé un autre rendez-vous. Isolée, complètement perdue, j'y suis retournée la semaine suivante et nous avons eu des relations sexuelles au cabinet, je lui ai dit ma gêne d'aller sur le divan, il m'a répondu qu'il y avait d'autres endroits, qu'il avait fait l'amour dans toutes les pièces de l'appartement. En parlant d'autres femmes, il rendait la situation acceptable. [...] Il m'a conseillé un site, c'était du porno, j'en ai pleuré. Quand je lui ai dit « Nos relations ressemblent à celles avec une pute », il m'a répondu : « Ah, mais c'est un peu ça ! »"
Marie, qui a porté plainte en 2014 devant le Conseil de l'Ordre, n'a pas obtenu gain de cause. "Pour se défendre, il a déclaré [qu'au cours] d'une consultation, je l'aurais agressé sexuellement, et menacé du Conseil de l'Ordre, se sentant piégé, il aurait accepté de venir chez moi à chaque appel. C'était un médecin en fin de carrière, le conseil départemental de l'ordre des médecins ne s'est pas associé à ma plainte devant le conseil régional."
Sandrine Rousseau : "Parler est le meilleur médicament contre les agressions sexuelles." Entretien diffusé le 27 septembre 2017.
Rendre les praticiens abusifs passibles de poursuites devant le Conseil de l’Ordre
Les psychiatres sont donc en première ligne, mais les signataires ont précisé à l’AFP que ce type de comportement abusif peut également exister chez d’autres spécialistes. Ajouter un nouvel article au Code de déontologie médicale – qui serait validé par décret ministériel – rendrait les praticiens abusifs passibles de poursuites devant le Conseil de l’Ordre des médecins. Pour les signataires néanmoins, il n’est pas question de condamner la profession tout entière, mais bien de briser l’impunité des "rares prédateurs sexuels" qui en font malheureusement partie.
Aujourd’hui encore, il existe peu de données sur le sujet. Le Cnom a cependant publié un rapport en 2000, dans lequel il expliquait que sa section disciplinaire avait "eu à connaître une quarantaine d'affaires de ce type au cours des dix dernières années". A l’époque, le Conseil estimait que "l’incidence de ces écarts était difficile à évaluer [mais] en augmentation apparente". Il notait par ailleurs "une évolution vers une moindre tolérance à la fois des victimes, du public et du corps médical". Le Cnom s’est cependant désolidarisé de cette tribune dans un communiqué, publié le 27 mars au motif que l’ajout d’un tel article représenterait une violation de la vie privée des personnes concernées. Pour le Conseil en effet, les articles 2, 3, 7 et 31 du Code de déontologie suffisent à garantir la protection des patients.
Malgré cette désapprobation du Cnom, les victimes semblent décidées à parler. Le 10 janvier dernier, on apprenait en effet qu’un psychiatre manseau avait été mis en examen pour viols et agressions sexuelles. La victime expliquait avoir eu un "déclic" grâce aux retentissements de l’affaire Weinstein, qui l’avait motivée à porter plainte. Peut-être un premier pas vers la fin d’un tabou.
La pétition peut être signée sur Atoute.org, le site du Dr Dupagne.