Un nouveau projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles
Le nouveau projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles est présenté mercredi 21 mars en conseil des ministres par Nicole Belloubet et Marlène Schiappa. Son but : mieux protéger et accompagner les victimes.
Une enfant de 11 ans peut-elle consentir à un acte sexuel ? La question, a priori absurde, avait pourtant été soulevée par le parquet de Pontoise, qui avait décidé, en septembre dernier, de juger pour "atteinte sexuelle" – et non pour "viol" – la relation entre une fillette et un homme de 28 ans. Devant le tollé suscité par cette décision, le tribunal avait finalement ouvert une information judiciaire pour "viol" fin février. Le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles porté par la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, et la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a notamment pour but de pallier ce flou juridique.
Celui-ci propose en effet de renforcer l’interdit sur les relations sexuelles entre majeurs et mineurs de moins de 15 ans. Il préconise en outre d’allonger les délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs, d’élargir la définition du harcèlement sexuel et moral, et de créer une contravention d’outrage sexiste.
"La contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime"
"Pour qu’il y ait viol, il faut qu’il y ait absence de consentement. La question que nous nous posons et à laquelle nous répondrons est celle de l’âge en deçà duquel il y aura une présomption de non-consentement. [...] Cette notion n’existe pas dans le droit français. Il y a un débat pour savoir s’il faut fixer ce seuil à 15 ans, à 14 ans ou à 13 ans…" avait expliqué Nicole Belloubet dans un entretien au Parisien le 19 novembre. La ministre avait ainsi confirmé son souhait de modifier la loi concernant les viols sur mineurs, très imprécise.
Car dans le droit français, tout acte sexuel commis entre un-e majeur-e et une personne de moins de 15 ans n’est pas automatiquement qualifié de viol. La loi précise toutefois que "l’autorité de droit ou de fait" du majeur sur le mineur et "la différence d’âge existant" peuvent constituer une contrainte morale, mais elle ne précise jamais l’écart d’âge en question. Conséquemment, une relation sexuelle entretenue par un adulte avec une-e très jeune un-e mineur-e peut rester impunie.
Une aberration pour de nombreux médecins : en-dessous de 15 ans, le développement psycho-affectif ne suffit pas à concevoir la portée d’un acte sexuel. On ne peut donc parler de consentement, même s’il n’existe pas, dans les faits, de contrainte morale, physique, ou d’effet de surprise – faits nécessaires à la qualification de viol. Aussi le texte présenté en conseil des ministres prévoit-il que "lorsque les faits seront commis sur la personne d’un mineur de [moins de] 15 ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes". Le document indique en outre que l’auteur de tels faits sera passible de dix ans d’emprisonnement, contre cinq auparavant.
Néanmoins, pour la psychiatre et traumatologue Muriel Salmona, ce point du projet est un retour en arrière. "Ce qu’on espérait, c’est qu’on ne recherche plus le consentement chez les enfants de moins de 15 ans et qu’on ne soit plus en situation de prouver la contrainte, la surprise, la menace ou la violence. Or, là, ça va de nouveau être du cas par cas. Ce n’était pas du tout ce qui était prévu", déplore-t-elle.
Allonger le délai de prescription pour prendre en compte l’amnésie post-traumatique
Deuxième élément du texte présenté par Marlène Schiappa et Nicole Belloubet : l’allongement des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs. A l’heure actuelle, il est de 20 ans après la majorité de la victime. Une disposition vivement critiquée : si ce délai était allongé à 30 ans, les victimes pourraient porter plainte jusqu'à l'âge de 48 ans. Cette modification permettrait de prendre en compte le phénomène d’amnésie post-traumatique, période pendant laquelle la victime refoule les violences qu’elle a subies et qui peut durer plusieurs dizaines d’années.
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La journaliste Flavie Flament, violée à l’âge de 13 ans par le photographe David Hamilton, s’était fait l’écho de cette revendication. Elle avait expliqué avoir inconsciemment enfoui ses souvenirs pendant de longues années avant de réaliser pleinement ce qu’elle avait vécu. Aussi n’avait-elle jamais pu porter plainte contre le photographe, le délai de prescription étant passé.
Punir les violences en ligne
Autre point-clé du projet de loi : l’élargissement de la définition du harcèlement sexuel et moral. Le but est ici de mieux protéger les femmes contre les violences en ligne, et de les aider à porter plainte, notamment lorsqu’elles sont victimes de "raids" (des afflux de messages insultants et/ou violents). Ce type de message relève de l'injure publique, passible de 12 000 euros d'amende. Mais pour les victimes, il est aujourd’hui quasi impossible de porter plainte contre un individu qui se cache derrière un pseudonyme. Un problème qu’avait soulevé la YouTubeuse Marion Seclin lors d’une conférence TEDx postée sur YouTube le 29 novembre 2017, dans laquelle elle évoquait son impuissance face à l’afflux de messages de haine – plus de 40 000 – qu’elle avait reçus.
Marion Seclin, le 29 novembre 2017
Nicole Belloubet et Marlène Schiappa entendent donc lutter contre l’impunité des cyber-harceleurs en facilitant les démarches des victimes. Car les violences en ligne sont loin d’être anodines, comme l’explique le Dr Gilles Lazimi, médecin généraliste et membre du HCE : "Ce que subissent ces femmes relèvent du stress post-traumatique. C'est une atteinte à l'image, à la personne. Ca peut entraîner un état de dépression. Ces messages sont intrusifs et peuvent provoquer des cauchemars, des peurs paniques."
Créer une contravention pour outrage sexiste
Le projet de loi prévoit, enfin, la création d’une contravention d’outrage sexiste, qui cible le harcèlement de rue. Aujourd’hui, un homme qui interpelle une femme contre son gré dans l’espace public, la suit ou la touche, reste impuni. Pour Marlène Schiappa et Nicole Belloubet, il est de fait nécessaire de mettre en place une nouvelle infraction. Celle-ci concernera l'acte "d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante hostile ou offensante".
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Cette contravention, de catégorie 4, s’élèvera à 90 euros, et pourra monter jusqu’à 1 500 euros en cas de circonstances aggravantes, voire 3 000 euros en cas de récidive. Si certaines associations émettent des doutes sur l’application effective d’une telle contravention, Marlène Schiappa tient à rassurer, et affirme que des forces de police seraient "déployées en nombre conséquent, notamment avec la création de la police de sécurité du quotidien". Pour elle, cette mesure aura "valeur d’exemple".
Le projet de loi, approuvé par le Conseil d’Etat, doit être débattu par le Parlement. Pour la présidente du HCE Danielle Bousquet, qui espère que ce texte pourra "constituer un levier vers leur meilleure condamnation sociétale et judiciaire", "il s’agit d’un pas important dans la lutte contre les violences sexuelles".