Handicap : sortir Amélie de son isolement
Amélie Loquet, 19 ans, est atteinte du syndrome de Prader-Willi, de troubles autistiques et de troubles envahissants du développement. Faute de place en établissement médico-social, elle vit chez ses parents depuis un an. La famille d'Amélie, avec l'appui de l'Union nationale des associations de parents de personnes handicapées (Unapei), a engagé une procédure de référé-liberté pour faire valoir ses droits fondamentaux. Marie-Claire Loquet, la mère d'Amélie, a accepté de témoigner de cette situation. Le tribunal administratif de Pontoise (Val-d'Oise) statuera vendredi 4 octobre 2013 sur cette demande.
- Dans quelle situation vous trouvez-vous aujourd'hui ?
Mme Loquet : "Amélie, qui a 19 ans, est 24 heures sur 24 chez nous depuis fin septembre 2012. Elle est isolée, est sans relations sociales ni activités. Elle végète à la maison. Nous avons alerté la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), le Conseil général et même la mairie de notre commune. De ces derniers, il n'y a eu aucune réaction. On nous a seulement dit : débrouillez-vous, adressez-vous ailleurs. Nous étions en contact avec l'Unapei locale, qui nous a proposé de déposer une requête en référé-liberté (voir encadré). L'objectif est simplement de sortir Amélie de son isolement, de lui trouver un établissement."
- Comment cette situation s’est-elle mise en place ?
Mme Loquet : "Les enfants atteints du syndrome de Prader-Willi sont assez compliqués. En plus de ce syndrome, Amélie présente également des troubles autistiques. Elle a aussi des manies. Elle bouge beaucoup, et a énormément de difficultés à se concentrer.
"Dans l'Institut médico-éducatif (IME) qui l'accueillait, elle avait lié un contact très fort, un lien affectif réel avec une éducatrice. Malheureusement, celle-ci a déménagé en mai 2012. Pour Amélie, ce fut une catastrophe, une véritable panique. L'établissement s'est trouvé sans solutions. Amélie devenue majeure, aucun Institut médico-professionnel (IMP) n'a voulu la prendre, affirmant qu'elle était trop difficile à gérer.
"L'amendement Creuton de 1989 stipule qu'une personne handicapée placée en établissement a le droit de rester dans cet établissement si elle ne peut être admise dans une structure pour adulte. C'est la loi. En dépit de cet amendement, Amélie a quitté son IME, car ils ne voulaient tout simplement plus d'elle.
"Pour nous obliger à la retirer, ils ont exercé des pressions constantes, qui datent même d'avant le départ de l'éducatrice. Mon mari, qui travaille la nuit, recevait constamment des plaintes de la part de la direction de l'IME, et devait se rendre sur place pour récupérer Amélie. En 2009, on lui a demandé, de façon provisoire, de garder Amélie l'après-midi. Le provisoire est devenu permanent. J'ai dû quitté mon emploi mi-2010 pour m'occuper d’Amélie. Mais j'ai dû reprendre un travail a mi-temps, en avril 2012, parce que nous avions besoin d'argent.
"Mais avoir Amélie seulement le matin, c'était déjà trop pour la direction de l'IME. Au mois de septembre 2012, l'établissement a appelé les pompiers pour qu'elle soit emmenée à l'hôpital. Mon mari s'y est rendu, elle n'avait absolument rien. Les personnes de l'IME nous on expliqué que désormais, au moindre problème avec notre fille, ils réagiraient ainsi : en appelant les pompiers. Si nous ne voulions pas de cette "solution", nous devions retirer Amélie. De guerre lasse, nous avons cédé à la pression. Nous nous disons aujourd'hui que nous avons eu tort d'accepter. Mais elle souffrait, et aurait encore souffert.
"Les enfants hypersensibles comme Amélie ressentent très fortement cette situation de rejet. Cela a des répercussions. D'un autre côté, elle ne comprend pas pourquoi elle n'a plus le droit d'aller dans ce lieu où elle se rendait quotidiennement depuis onze ans."
- Qui vous aide aujourd'hui à vous occuper de votre fille ?
Mme Loquet : "Personne. Nous n'avons aucun relais. Aucun. Nous n'avons aucune nouvelle de la MDPH. On se relaie, avec mon mari : il va faire les courses, je la garde. Nous avons une allocation financière minimale, mais cela ne résout absolument rien. Amélie, à dix-neuf ans, est sans activité ! Elle n'est pas stimulée, ne progresse pas. Ses troubles ont augmenté, car elle n'a plus de dérivatifs. Il faut des gens formés pour l'accompagner, et nous ne sommes que deux, mon mari et moi. La situation est intenable, pour nous, pour son frère de dix-sept ans.
"Nous avons déposé la requête le 27 septembre 2013. Nous attendons simplement que l'on oblige l'Agence Régionale de Santé (ARS) et le Conseil régional à trouver une place dans un établissement. Nous faisons cela pour Amélie, pour nous, mais aussi pour d'autres, car il y a de très nombreuses familles dans la même situation que nous. S'il y a un jugement en notre faveur, nous espérons que celui-ci fera jurisprudence."
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- Unapei
Fédération d'associations française de représentation et de défense des intérêts des personnes handicapées mentales et de leurs familles.
Le référé liberté (ou référé injonction) est une procédure judiciaire qui peut être utilisée par un citoyen "si une décision prise à son encontre par une administration ou un organisme chargé d'un service public porte une atteinte grave et manifestement illégale à l'une de ses libertés fondamentales".