Pr. Israël Nisand : un rapport et un livre sur les grossesses des mineures
18 000 mineures enceintes, dont 13 500 ont eu recours à l'IVG. Cela se passe en France, en 2010. Des chiffres alarmants, qui ont poussé la secrétaire d'Etat à la Jeunesse, Jeannette Bougrab, à la commande d'un rapport à des experts, afin d'analyser la situation et de prendre des mesures. Le Pr. Israël Nisand, responsable du pôle Gynécologie-Obstétrique du CHU de Strasbourg, fait partie de ces experts (*).
Il était aujourd'hui, jeudi 16 février 2012, l'invité du jour du "Magazine de la santé", sur France 5, à l'occasion de la sortie du livre Et si on parlait de sexe à nos ados ? Pour éviter les grossesses non prévues chez les jeunes filles (Ed. Odile-Jacob).
Entre 2002 et 2009, le nombre d’IVG a augmenté de 22 % chez les mineures. Dans votre rapport, vous proposez la pilule gratuite pour les mineures. Doit-on en déduire que le pass santé contraception, le chéquier destiné aux lycéens et dont les coupons donnent droit à une consultation chez le médecin et à la délivrance d’un contraceptif, ne suffit pas ?
Pr. Israël Nisand : "Il est mal pensé, réducteur et donc inefficace. Cela ne suffit pas de donner des chèques, il faut travailler sur la qualité de l’accès et la formation à l’école. La loi de 2001 prévoit une éducation sexuelle à l’école dés l’âge de 4 ans pour promouvoir le respect de soi, des autres et l’égalité entre les sexes. Or, elle n’est pas appliquée.
"Nous sommes dans un pays où l’IVG et la contraception d’urgence - pilule du lendemain - sont anonymes et gratuites alors que l’accès à la contraception ne l’est pas, hormis dans les centres de planning familial. Pourtant, quatre femmes sur cinq habitent à plus de 100 km d’un centre de planification !"
Comment résoudre le problème ?
I.N : "Tout d’abord, en constituant un réseau. Il faudrait réunir, dans chaque canton, les infirmières, les sages-femmes, les médecins généralistes, les pharmaciens et les médecins scolaires, autour de trois missions. En premier lieu, apporter les informations dans les écoles. Ensuite, recevoir les jeunes filles sans examen gynécologique - entre 14 et 18 ans, cela n’est pas nécessaire et constitue souvent un frein - pour faire le point sur leur contraception en tout anonymat, discrétion et gratuité. Cela coûterait de toute façon moins cher que de prendre en charge les IVG ! Enfin, il faudrait établir des statistiques géographiques afin de pouvoir agir."
D’autres pays ont en effet réussi à faire baisser les IVG chez les mineures…
I.N : "En Hollande, au Québec et en Suisse – trois pays qui se sont penchés sur la question – le nombre d’IVG chez les mineures est trois fois moins élevé qu'en France. Cela signifie que ce n’est pas une fatalité et que des solutions existent. A Strasbourg, par exemple, ce nombre a été divisé par deux.
"Un avortement laisse des traces définitives chez les jeunes filles. Elles font 4 fois plus de dépressions, 2 fois plus de tentatives de suicide et ont 2 fois plus d’addictions. Quand au fait de devenir mère alors qu’on n’est même pas adulte, les conséquences en terme de déscolarisation et de précarité sont terribles…"
La pilule est le contraceptif le plus utilisé. Pourtant, de nombreuses IVG ont lieu chez des femmes ou des jeunes filles qui sont sous pilule. Comment éviter cela ?
I.N : "Un tiers des IVG ont en effet lieu sous pilule, et 40 % chez les jeunes. On oublie souvent la pilule et elle coûte cher. Or il existe de nombreux autres moyens de contraception : patchs, anneaux, stérilet quand les relations sont stables, etc."
Que répondez-vous aux parents qui disent que l’école n’est pas un lieu adapté pour parler de sexualité ?
I.N : "Je leur réponds que s’ils ne le font pas de manière adaptée, et l’école non plus, la pornographie sur Internet s’en chargera. Aujourd’hui, je vois en consultation des jeunes de 9/10 ans qui - à raison de 3 heures par jour de consultation de sites pornographiques - sont complètement addicts. Ils pensent que le rapport sexuel passe forcément par la fellation et la sodomie, et qu’on jouit à tous les coups. Cela est terriblement dégradant pour les filles et anxiogène pour les garçons.
"Il faut réduire l’accès des sites pornographiques aux adolescents, en mettant un numéro de carte bleu, comme dans les hôtels. Sinon, le rapport entre les sexes va encore s’altérer, et la violence va augmenter. Il est aussi important, à partir de 12/13 ans, que l’adolescent puisse se tourner vers un tiers - médecin, sage-femme… - pour parler de sexualité. Les parents ne sont plus les meilleurs interlocuteurs, et ont besoin d’aide."
En savoir plus :
- Info-Ado TV
Le site fondé par le Pr.Nisand, qui informe les adolescents, les oriente et répond à leurs questions sur les contraception et la sexualité.