Traitement de la toxicomanie : l'héroïne fait mieux que la méthadone

Soigner des héroïnomanes avec de l'héroïne. D'après une étude canadienne, cette prise en charge serait plus bénéfique pour les malades que les traitements de substitution traditionnels. Et serait plus économique pour la société.

Héloïse Rambert
Rédigé le , mis à jour le
Les spécialistes espèrent éviter de nombreuses morts par overdose.
Les spécialistes espèrent éviter de nombreuses morts par overdose.

A la lecture des travaux menés par des chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique, de Montréal et de la Northern Ontario School of Medicine, l'expression "soigner le mal par le mal" prend tout son sens.

Dans leur étude, publiée le 12 mars 2012, dans le Journal de l'Association médicale canadienne (CMAJ), les chercheurs ont comparé les taux de succès obtenus dans deux traitements de substitution à l'héroïne : la substitution par la méthadone, et par la diacétylmorphine, la forme pharmaceutique… de l'héroïne.

Les résultats ont permis de conclure à un plus grand succès du traitement par la diacétylmorphine : les patients qui l'ont suivi ont vu leur durée de vie allongée et leur qualité de vie améliorée. Ils ont en effet suivi leur traitement plus longtemps que ceux pris en charge par la méthadone.

L'absence de plaisir, facteur d'échec thérapeutique

Des résultats d'étude qui ne surprennent pas le Pr. François Chast, pharmaco-toxicologue à l'hôpital de l'Hotel-Dieu. "Pour un certain nombre de patients, la prise en charge par la méthadone ou la buprénorphine (Subutex®) se solde par un échec, facile à expliquer. Les toxicomanes ne retrouvent pas avec les traitements de substitution, qui ne procurent aucun plaisir, ce qu'ils avaient avant : le "shoot" propre à la consommation d'héroïne."

En revanche, si on lui administre de la diacétylmorphine, le toxicomane retrouve la substance pour laquelle il était dans un état de manque et qui lui apporte une satisfaction. "Il est donc tout à fait logique que le malade suive son traitement plus longtemps", commente le Pr. Chast.

Toxicomanie médicalement assistée

Quelle solution, alors pour ces malades "en échec" ? "Nous n'avons ensuite, en France, plus rien à leur proposer", admet le médecin.

Mais certains pays comme le Canada, le Royaume-Uni ou la Suisse ont mis en place des centres d'injections médicalisés. En cas d'échec du traitement de substitution "classique", le patient peut y venir avec sa propre drogue, qu'il s'injecte sous contrôle médical et avec du matériel stérile. Dans d'autres cas, ce sont les médecins eux-mêmes qui fournissent une héroïne standardisée. Le Pr. Chast est de ceux qui pensent que le recours à l'héroïne pour soigner est une solution de moindre mal. "Le but du traitement de la toxicomanie est la substitution, et non le sevrage. Cette substitution peut se faire par d'autres substances que celle responsable de l'addiction… ou par la substance elle-même."

Selon le médecin, cette prise en charge se justifie, et a des avantages somatiques, psychiques et sociaux. L'héroïne fournie par l'équipe médicale, plus "propre" que la drogue "de rue", évite les overdoses ou les accidents cardio-respiratoires. De plus, ces injections "sous contrôle" permettent une meilleure maîtrise des problèmes infectieux. Et une fois de plus, tout est fait pour éviter au malade de chercher la drogue par tous les moyens.

Choquant ? Tout serait une question de point de vue… et de culture. Je peux comprendre que l'on critique ce genre de démarche d'un point de vue éthique. Notre regard sur la toxicomanie est tel que l'on a du mal à comprendre cette façon de prendre en charge les toxicomanes. Les pays qui la pratiquent ont fait leur révolution culturelle sur ce point, même s'il existe des critiques internes", analyse le Pr. Chast.

Avantage financier en bonus

Autre avantage, annexe mais non négligeable, soulevé par l'étude : en raison du taux moins élevé de rechute comparativement au traitement à la méthadone, le traitement à l'héroïne pharmaceutique coûterait moins cher à la société. Une diminution des coûts surtout liés à la baisse de la criminalité. Les chercheurs estiment que le traitement à vie d'une personne dépendante à l'héroïne coûterait 1,14 million de dollars avec la méthadone contre 1,10 million de dollars avec la diacétylmorphine.

En France, seuls les traitements de substitution par la méthadone et la buprénorphine sont utilisés. Et s'ils sont loins d'être parfaits, ils ont été efficaces en matière de santé publique : depuis 1995, les cas de transmission du VIH par des seringues contaminées a fortement chuté et le nombre de morts par overdoses a été divisé par cinq.

Etude de référence : "Cost-effectiveness of diacetylmorphine versus methadone for chronic opioid dependence refractory to treatment", CMAJ, Mars 2012


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A la lecture des travaux menés par des chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique, de Montréal et de la Northern Ontario School of Medicine, l'expression "soigner le mal par le mal" prend tout son sens.

Dans leur étude, publiée le 12 mars 2012, dans le Journal de l'Association médicale canadienne (CMAJ), les chercheurs ont comparé les taux de succès obtenus dans deux traitements de substitution à l'héroïne : la substitution par la méthadone, et par la diacétylmorphine, la forme pharmaceutique… de l'héroïne.

Les résultats ont permis de conclure à un plus grand succès du traitement par la diacétylmorphine : les patients qui l'ont suivi ont vu leur durée de vie allongée et leur qualité de vie améliorée. Ils ont en effet suivi leur traitement plus longtemps que ceux pris en charge par la méthadone.

L'absence de plaisir, facteur d'échec thérapeutique

Des résultats d'étude qui ne surprennent pas le Pr. François Chast, pharmaco-toxicologue à l'hôpital de l'Hotel-Dieu. "Pour un certain nombre de patients, la prise en charge par la méthadone ou la buprénorphine (Subutex®) se solde par un échec, facile à expliquer. Les toxicomanes ne retrouvent pas avec les traitements de substitution, qui ne procurent aucun plaisir, ce qu'ils avaient avant : le "shoot" propre à la consommation d'héroïne."

En revanche, si on lui administre de la diacétylmorphine, le toxicomane retrouve la substance pour laquelle il était dans un état de manque et qui lui apporte une satisfaction. "Il est donc tout à fait logique que le malade suive son traitement plus longtemps", commente le Pr. Chast.

Toxicomanie médicalement assistée

Quelle solution, alors pour ces malades "en échec" ? "Nous n'avons ensuite, en France, plus rien à leur proposer", admet le médecin.

Mais certains pays comme le Canada, le Royaume-Uni ou la Suisse ont mis en place des centres d'injections médicalisés. En cas d'échec du traitement de substitution "classique", le patient peut y venir avec sa propre drogue, qu'il s'injecte sous contrôle médical et avec du matériel stérile. Dans d'autres cas, ce sont les médecins eux-mêmes qui fournissent une héroïne standardisée. Le Pr. Chast est de ceux qui pensent que le recours à l'héroïne pour soigner est une solution de moindre mal. "Le but du traitement de la toxicomanie est la substitution, et non le sevrage. Cette substitution peut se faire par d'autres substances que celle responsable de l'addiction… ou par la substance elle-même."

Selon le médecin, cette prise en charge se justifie, et a des avantages somatiques, psychiques et sociaux. L'héroïne fournie par l'équipe médicale, plus "propre" que la drogue "de rue", évite les overdoses ou les accidents cardio-respiratoires. De plus, ces injections "sous contrôle" permettent une meilleure maîtrise des problèmes infectieux. Et une fois de plus, tout est fait pour éviter au malade de chercher la drogue par tous les moyens.

Choquant ? Tout serait une question de point de vue… et de culture. Je peux comprendre que l'on critique ce genre de démarche d'un point de vue éthique. Notre regard sur la toxicomanie est tel que l'on a du mal à comprendre cette façon de prendre en charge les toxicomanes. Les pays qui la pratiquent ont fait leur révolution culturelle sur ce point, même s'il existe des critiques internes", analyse le Pr. Chast.

Avantage financier en bonus

Autre avantage, annexe mais non négligeable, soulevé par l'étude : en raison du taux moins élevé de rechute comparativement au traitement à la méthadone, le traitement à l'héroïne pharmaceutique coûterait moins cher à la société. Une diminution des coûts surtout liés à la baisse de la criminalité. Les chercheurs estiment que le traitement à vie d'une personne dépendante à l'héroïne coûterait 1,14 million de dollars avec la méthadone contre 1,10 million de dollars avec la diacétylmorphine.

En France, seuls les traitements de substitution par la méthadone et la buprénorphine sont utilisés. Et s'ils sont loins d'être parfaits, ils ont été efficaces en matière de santé publique : depuis 1995, les cas de transmission du VIH par des seringues contaminées a fortement chuté et le nombre de morts par overdoses a été divisé par cinq.

Etude de référence : "Cost-effectiveness of diacetylmorphine versus methadone for chronic opioid dependence refractory to treatment", CMAJ, Mars 2012


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