Cancer : cibler les traitements sans biopsie
Identifier avec précision les anomalies génétiques à l'origine du comportement cancéreux d'une cellule, pour traiter plus efficacement les tumeurs : c'est la clef des thérapies dites "ciblées". Les analyses biologiques étaient, jusqu'à présent, réalisées sur des échantillons prélevés par biopsie. Des chercheurs de l'Institut Curie ont expérimenté une alternative ingénieuse, basée sur l'étude de cellules malades détachées de la tumeur et entrées dans la circulation sanguine.
Une tumeur qui se développe dans un organe donné, chez un patient donné, peut avoir des caractéristiques très différentes du cancer touchant le même organe, chez un autre patient. Ces cancers peuvent en effet être causés par de dysfonctionnements cellulaires très distincts (voir encadré). Inversement, deux cancers touchant des organes différents peuvent avoir pour origine une anomalie commune.
Depuis plusieurs années, des laboratoires pharmaceutiques cherchent à identifier ces anomalies spécifiques, pour rétablir au cas par cas le fonctionnement cellulaire normal. Les thérapies issues de ces recherches sont dites "ciblées".
Avant de pouvoir traiter un patient, il est ici impératif de connaître très précisément la nature de l'anomalie cellulaire. Mais comment procéder lorsque la tumeur est isolée, et qu'aucune biopsie n'est possible ?
Les cellules tumorales circulantes
Une tumeur n'est pas une masse compacte et homogène. Au cours de son développement, quelques-unes des cellules qui la composent cheminent vers l'extérieur et gagnent la circulation sanguine (avec le risque d'atteindre d'autres sites de l'organisme et de former des métastases).
Des chercheurs de l'Institut Curie ont cherché à déterminer si l'analyse de l'ADN de ces "cellules tumorales circulantes" (CTC) permettait d'obtenir les mêmes informations qu'une biopsie, en terme de définition du traitement ciblé.
L'expérience – dont les résultats ont été publiés fin décembre 2014 dans la revue Molecular Oncology – a porté sur 34 patients, atteints de tumeurs localisées dans 18 sites différents.
La biopsie de la tumeur a pu être réalisée chez 27 malades. Les analyses ont porté sur 46 gènes et plus de 6.800 mutations, dans les échantillons de biopsie et dans les CTC issues de prélèvements sanguins.
"28 des 29 anomalies moléculaires détectées dans les biopsies l'ont [également] été dans l'ADN tumoral circulant", notent les chercheurs. "Par ailleurs, une anomalie non détectée dans les biopsies a été identifiée dans l'ADN tumoral circulant."
En outre, chez les sept patients pour lesquels la tentative de biopsie a échouée, les chercheurs sont parvenus à détecter trois anomalies caractéristiques du développement cancéreux (et donc potentiellement objet d'un traitement ciblé).
"Ces résultats suggèrent que l'analyse de [l'ADN des CTC] est une alternative potentielle [aux] analyses longues et coûteuses portant sur des biopsies", concluent les biologistes.
La méthode doit confirmer sa fiabilité au travers d'autres expérimentations. Il faut pour l'heure noter que les CTC sont rares, et leur détection difficile. Surtout, une tumeur peut être hétérogène : au fil des divisions cellulaires, de nouvelles mutations "cancéreuses" peuvent apparaître, qui ne seraient pas portées par les CTC détectées.
Source : Circulating tumor DNA as a non-invasive substitute to metastasis biopsy for tumor genotyping and personalized medicine in a prospective trial across all tumor types. Jean-Yves Pierga et coll. Molecular Oncology, 26 déc. 2014. doi: 10.1016/j.molonc.2014.12.003.
En savoir plus sur les cellules tumorales circulantes :
L'activation d'un récepteur à la surface d'une cellule entraîne une chaîne d'évènements moléculaires qui permettent à cette cellule de réagir de façon adéquate. Une anomalie à n'importe quel point de cette chaîne peut engendrer des comportements anarchiques de la part de la cellule.
Deux cancers localisés dans des organes très différents peuvent être causés par le dysfonctionnement du même "maillon", et peuvent donc théoriquement être traités de la même façon – c'est-à-dire en ciblant avec une molécule spécifique ce point précis de la chaîne de communication intracellulaire.