Des souris spationautes pour modéliser les maladies osseuses et musculaires
Une dizaine de jeunes souris ont été placées sur orbite terrestre pour un mois, afin d'étudier la formation et l'évolution de leurs os et de leurs muscles. L'expérience, initiée le 19 avril 2013, promet d'être riche d'enseignements, tant pour l'amélioration de la qualité de vie des spationautes humains que pour celle… de nombreux terriens. Les chercheurs impliqués dans le projet détaillent pour nous les ambitions de cette aventure.
Mi-avril 2013, quinze petites souris, quelques tritons et de nombreux insectes ont quitté le cosmodrome de Baïkonour pour un séjour d'un mois en impesanteur. Manger, dormir et se dégourdir les pattes : telle est la mission scientifique des habitants de la capsule automatique BION 1, qui graviteront jusqu'au 18 mai 2013 à 575 kilomètres d'altitude - près de 200 kilomètres au-dessus de l'orbite de la Station Spatiale Internationale.
Un modèle extrême
"Avec cette expérience, nous disposerons d'un modèle extrême" nous explique Laurence Vico, chercheuse à l'Inserm chargée de la future étude des tissus osseux des souris spationautes. "Durant toute l'évolution, le corps [des mammifères] a lutté contre le vecteur gravité. Avec BION, nous allons isoler ce paramètre, et tâcher de répondre à la question : qu'est-ce qui, dans le développement [des tissus], est spécifiquement influencé par la gravité ?"
Difficile, pour les biologistes, d'estimer l'impact respectif des innombrables facteurs en jeu dans le développement d'un organisme. Et malgré le million d'heures d'aventure spatiale cumulées par l'humanité, les connaissances relatives à l'effet de la gravité sur l'organisme restent limitées. "L'organisme des spationautes ne subit pas seulement l'effet de la microgravité," poursuit Laurence Vico. "Une partie des troubles observés dépend également du stress, d'une balance énergétique déficitaire ou du bouleversement du rythme circadien."
La modification de la circulation des fluides corporels ou la sollicitation moindre des os porteurs et des muscles pour se déplacer reste cependant la principale cause de nombreux troubles observés chez les spationautes. "A l'issu d'un séjour de six mois dans l'espace, certains d'entre eux peuvent avoir perdu près de 20% de masse osseuse, l'équivalent des pertes normalement observées au cours d'une vie entière." L'atrophie musculaire compte également au nombre des "risques du métier" qui rendent indispensable les nombreuses heures d'exercices physiques imposés aux spationautes.
Les simulations des conditions de vie spatiales réalisée sur Terre (immersion prolongée en piscine, étude de la physiologie de personnes alitées, jambes surélevées, durant plusieurs mois) ne peuvent fournir qu'une quantité limitée d'informations aux scientifiques. Et, comme l'observe Stéphane Blanc, chercheur à l'Institut Hubert Curien de Strasbourg (CNRS/Unistra), "la réalisation de biopsies chez l'astronaute est extrêmement compliquée et rare".
Le scientifique, qui sera pour sa part responsable de l'analyse des tissus musculaire des souris, détaille pour nous l'avancée constituée par le programme BION-1 : "grâce à cette expérience, nous aurons accès à des échantillons [de tissus] ayant subi une véritable exposition à l'impesanteur, et dont nous pourrons analyser les réseaux moléculaires et métaboliques en place."
Des enseignements utiles aux spationautes de demain…
Au retour de la capsule BION-1 sur Terre, dix des quinze souris (1) seront en effet disséquées, leurs muscles et leurs os étant respectivement envoyés aux laboratoires de Stéphane Blanc et de son homologue de l'Inserm. Le chercheur strasbourgeois revient sur le volet de l'étude dont il a la charge.
L'objectif de l'équipe strasbourgeoise "est de déterminer aussi précisément que possible les voies métaboliques qui se mettent en place en réponse à l'absence de gravité [et participent ainsi] à l'atrophie musculaire." Les premiers bénéficiaires de ces observations seront, très vraisemblablement, les spationautes eux-mêmes. "[Une fois identifiées], ces voies pourraient être ciblées pour développer et tester de nouveaux types de contremesures, d'ordre physiques, nutritionnelles ou pharmacologiques."
L'enthousiasme de Laurence Vico à l'égard du projet BION est comparable. "Les souris ont été envoyées dans l'espace à la fin de leur croissance. [Les tissus osseux] que nous allons évaluer auront été entièrement fabriqués pendant le vol spatial. Nous allons effectuer de nombreux calculs [portant sur] la déformation de ces os, dont nous déduirons toutes les propriétés mécaniques." Le laboratoire de la chercheuse de l'Inserm réalisera également des expériences en centrifugeuses, au cours desquelles les souris seront soumise à l'effet d'une gravité deux fois plus importante que celle normalement ressentie sur Terre. "Nous allons, là encore, observer comment [le réseau des cellules osseuses] s'organisera."
"Au cours de certains programmes spatiaux, des médicaments [développés pour lutter contre l'ostéoporose] ont été prescrits aux spationautes pour lutter contre la résorption osseuse, mais le traitement a été globalement mal toléré" note Laurence Vico. "Il serait très intéressant d'étudier les effets conjugués de différents médicaments et d'une stimulation mécanique spécifique."
… et aux terriens d'aujourd'hui ?
"A bien des égards," souligne Laurence Vico, "la microgravité constitue un modèle accéléré des conséquences de l'inactivité couplée à la sédentarité, lorsque les os porteurs [et les muscles] ne sont plus sollicités." L'expérience BION pourrait ainsi être, de façon indirecte, riche d'enseignement pour la compréhension de certaines pathologies humaines, telles que le syndrome métabolique (voir encadré).
"Les principales conséquences de l'adaptation à l'espace sont l'inactivité physique", récapitule Stéphane Blanc. "Or, de nombreux comportements sédentaires sont impliqués dans le développement de maladies chroniques modernes. Par exemple, la sédentarité et la malbouffe sont les secondes causes de mortalité aux USA et l'inactivité seule est, en terme de nombre de pathologies, équivalente aux conséquences du tabagisme."
(1) Les cinq autres souris ont en effet été enrôlées dans le cadre d'une autre expérience. Le projet BION est ainsi l'occasion pour une équipe française basée à Angers d'expérimenter un système de capteurs implantables, adaptés aux contraintes d'une mission spatiales, capables de mesurer en continu la pression artérielle et de télétransmettre les données. Si leur expérience est concluante, le dispositif pourra être aisément adapté à l'homme au cours de futures missions spatiales.
Le syndrome métabolique désigne l'apparition conjointe de divers troubles d'origine glucidique, lipidique ou vasculaire, typiquement associés à une surcharge pondérale, qui vont provoquer un diabète et prédisposer à l'athérosclérose. Les chercheurs font l’hypothèse que les diverses manifestations de ce trouble répondent à un faisceau commun de mécanismes moléculaires et cellulaires. (Source : Inserm)