Greffe de rein intrafamiliale : une solution à la pénurie d'organes ?
En 2013, 112 enfants ont bénéficié d'une greffe de rein en France, venant surtout de donneurs décédés. Mais pour une vingtaine d'enfants, le donneur est vivant et il s'agit d'un membre de leur famille. Ces greffes intrafamiliales sont-elles une solution à la pénurie d'organes ? Quelles sont les conditions pour qu'un parent donne son rein ? Quel avenir pour la greffe rénale ? Les explications avec le Pr Rémi Salomon, chef du service de néphrologie pédiatrique de l'hôpital Necker-Enfants malades à Paris.
- Les greffes intrafamiliales se multiplient-elles en France ?
Pr Rémi Salomon : "En France, on a une longue tradition des greffes de donneurs décédés. Mais face à la pénurie d'organes, l'Agence de la biomédecine encourage les greffes de donneurs vivants. Ces greffes, essentiellement des greffes de rein, fonctionnent très bien.
"À Necker, on accompagne, chaque année, deux à cinq enfants qui reçoivent un rein de leur parent. Les autres (une quinzaine d'enfants en moyenne) reçoivent un rein de donneurs décédés. Tous âges confondus, les greffes de rein intrafamiliales représentent 15% des greffes rénales."
- Le développement de ces greffes intrafamiliales va-t-il suffire à enrayer la pénurie de reins ?
Pr Rémi Salomon : "En pédiatrie, nous sommes dans un cas un peu particulier. En France, la loi stipule en effet que les enfants sont prioritaires par rapport aux adultes pour bénéficier d'une greffe rénale. Résultat : en dialyse, les enfants attendent beaucoup moins que les adultes (huit mois environ contre deux ans pour les adultes résidant en région parisienne).
"Mais d'une façon plus globale, le développement des greffes de donneurs vivants ne va pas suffire à faire face à la pénurie d'organes car on assiste ces dernières années à une explosion du nombre d'adultes en dialyse (technique de purification qui permet de suppléer le rein NDLR). On compte environ 38.000 adultes dialysés aujourd'hui. C'est une augmentation de plus de 50% en dix ans. Cette hausse s'explique par la progression des maladies pouvant conduire à l'insuffisance rénale terminale comme le diabète et l'hypertension."
- Pourquoi les greffes rénales de donneurs vivants réussissent-elles mieux que les greffes de donneurs décédés ?
Pr Rémi Salomon : "L'intervention étant programmée, elle est préparée en amont dans les moindres détails. On a le temps de faire un bilan de santé très complet chez le donneur, de vérifier sa compatibilité avec le receveur… On organise le travail de deux équipes, l'équipe chirurgicale adulte et l'équipe chirurgicale enfant, de telle façon que le temps d'ischémie du rein (période au cours de laquelle l'organe n'est pas irrigué NDLR) soit le plus court possible, environ trois heures. Cela garantit une excellente survie du greffon après l'intervention."
- Quelles sont les conditions pour qu'un parent donne son rein ?
Pr Rémi Salomon : "Le parent doit être en parfaite santé. On écarte d'emblée les parents qui souffrent de diabète, d'hypertension ou d'autres maladies chroniques. On ne prélève pas non plus - en général - les parents âgés de plus 55 ans. On fait un check-up médical très complet. Et il arrive parfois qu'à l'occasion de ces examens poussés, on découvre une petite pathologie. En moyenne, on est obligé d'écarter un parent sur quatre parce que son état de santé, au-delà du problème de compatibilité, n'est pas assez bon pour permettre une greffe."
- Comment savoir si le rein ne sera pas rejeté ? Comment évaluer la compatibilité ?
Pr Rémi Salomon : "Il n'y a jamais de compatibilité parfaite sauf entre vrais jumeaux. Pour étudier la compatibilité tissulaire entre deux personnes, on réalise des examens biologiques poussés (typage des groupes HLA). On établit un score de compatibilité entre 0 et 8. En dessous de 4, en général, on estime que la compatibilité n'est pas suffisante pour s'engager dans une greffe car le risque de rejet est trop élevé. Des anticorps circulant dans le sang (et qui combattent les cellules "étrangères") peuvent apparaître et provoquer un rejet (rejet humoral)."
- Le rejet est-il un échec de la greffe ?
Pr Rémi Salomon : "On arrive aujourd'hui à maîtriser, dans la grande majorité des cas, les rejets grâce aux traitements anti-rejet, des médicaments qui diminuent les défenses immunitaires pour que le corps "accepte" le greffon (traitement immunosuppresseur). Quand un rejet survient malgré ces traitements, on les adapte à l'état immunologique du patient. Cela ne fonctionne pas toujours.
"Le mois qui suit la greffe est particulièrement critique. Mais le rejet peut intervenir à n'importe quel moment. À long terme, il peut survenir quand le patient ne prend pas ou mal ces médicaments anti-rejet. Il arrive malheureusement que nous devions dé-transplanter des reins."
- Le don de rein est-il banal aujourd'hui ?
Pr Rémi Salomon : "La technique chirurgicale de la transplantation est bien rodée, mais un don n'est pas anodin. Il implique quand même pour le donneur un risque anesthésique, des douleurs post-opératoires… Les donneurs doivent être suivis : on recommande une consultation annuelle à l'hôpital jusqu'à la fin de leur vie."
- Comment la greffe rénale peut-elle évoluer dans les années à venir ?
Pr Rémi Salomon : "Actuellement, on est face au problème suivant : les médicaments anti-rejet sont efficaces (ils évitent le rejet du rein) mais ils peuvent aussi fragiliser l'organisme par rapport aux infections. Certains traitements peuvent abîmer le greffon. On peut espérer que de gros progrès se réalisent concernant ces traitements immunosuppresseurs. On espère en particulier pouvoir adapter le traitement au cas par cas. Cela permettrait de diminuer les effets secondaires et de prolonger la vie du greffon. Des travaux de recherche en immunologie assez prometteurs pourraient permettre d'améliorer la tolérance d'un organe greffé."
Propos recueillis par Marie Chagneau
Du lundi 26 janvier 2015 au vendredi 30 janvier 2015, retrouvez la série In vivo "Greffe de rein : le don d'une mère" dans le Magazine de la santé.
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