Infirmiers à domicile : carton rouge sur l'hygiène
Ayant constaté l'émergence d'infections à certains pathogènes résistants contractés par des personnes hospitalisées en ville, des chercheurs de l'Institut de veille sanitaire (InVS) ont cherché à savoir si les infirmiers libéraux qui réalisent ce type de soins étaient suffisamment formés. Une enquête rendue publique le 18 février 2014, portant sur un quart des intervenants médicaux résidant en Seine-et-Marne, brosse un tableau inquiétant des pratiques...
Elaboré en 2006 par la Direction générale de la santé, le "Guide de bonnes pratiques pour la prévention des infections liées aux soins réalisés en dehors des établissements de santé" est-elle le livre de chevet de tous les infirmiers et infirmières libéraux ?
A en croire les résultats d'une enquête partielle(1) conduite par deux chercheuses à l'Agence régionale de santé d’Île-de-France, une part importante de ces professionnels paramédicaux n'ont que très distraitement parcouru la brochure...
L'hygiène des mains en question
Si la quasi-totalité des infirmiers disposent en permanence de gants à usage unique dans leur sacoche, seuls trois sur dix déclarent en porter systématiquement lors des soins. Pour nettoyer leurs mains avant une visite, huit infirmiers sur dix utilisent - plus ou moins régulièrement - un gel hydro-alcoolique. Les trois quarts d'entre eux veillent à ce que celui-ci soit efficace contre les virus. Seuls 45% des infirmiers déclarent toujours se laver les mains avant les visites.
Seuls 37% des infirmiers et infirmières ayant répondu à l’enquête déclarent ne porter aucun bijou lors des visites. Sur les 206 personnes interrogées, cinq infirmières portent en outre des faux ongles.
Selon les données de l'enquête, seuls sept infirmiers satisfaisaient "à l'ensemble des recommandations relatives à une bonne hygiène des mains"(3).
Des professionnels mal vaccinés
A peine plus de la moitié des infirmiers interrogés avaient leurs vaccins (DT-Polio, coqueluche, rougeole, hépatite B) à jour. Les professionnels exerçant depuis moins de 5 ans sont les mieux vaccinés (76%, contre 42% pour ceux exerçant depuis plus longtemps).
Seul un quart disposent d'un produit conforme pour le nettoyage d'une plaie en cas d'accident d'exposition au sang (AES) - une mesure "faisant partie des précautions standard", comme le soulignent les chercheurs. Or, 30% des infirmiers à domicile ont déjà eu un AES, selon les chercheuses.
L'étude révèle en outre que si 96% des infirmiers effectuent un tri des déchets piquants-coupants-tranchants, 68% n’effectuent pas le tri entre les déchets mous à risques infectieux et les déchets ménagers ! Pour transporter les déchets médicaux, une proportion analogue n'utilise par les containers dévolus à cet effet.
Des "bonnes pratiques" difficiles à respecter
Les données de l'étude réalisée par l'InVS, très complètes, révèlent l'existence de nombreuses contraintes quotidiennes dans l'exercice des soins à domicile qui ne favorisent pas le respect des "bonnes pratiques".
Les chercheuses constatent tout d'abord que le domicile des patients est rarement aménagé pour faciliter le travail des soignants. En outre, "[les] équipements [sont] mal adaptés aux besoins des infirmières et au caractère ambulatoire des soins".
Les scientifiques font également état "[d'une] communication hôpital-ville insuffisante qui ne permet pas aux infirmiers libéraux d'analyser les risques infectieux potentiels". La rémunération des soignants serait, enfin, insuffisante "au regard de l'investissement en temps et en équipements nécessaires au respect des bonnes pratiques."
De nouvelles enquêtes doivent désormais être menées par l'InVS pour compléter ces premières données, afin d'identifier les freins à l’amélioration des pratiques de soins – pour le bénéfice des patients autant que de celui des professionnels.
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(1) Un questionnaire postal a été envoyé aux 883 infirmiers libéraux de Seine-et-Marne. Deux cent six infirmiers (24%) y ont répondu. Les chercheuses notent que, "[puisqu’il] n’existe pas encore de données départementales fiables sur le mode d’exercice des infirmiers à domicile, il n’y a pas de comparaison possible pour vérifier si l’échantillon est représentatif."
(2) On définit comme accident d’exposition au sang "tout contact percutané (piqûre, coupure) ou muqueux (œil, bouche) ou sur peau lésée (eczéma, plaie) avec du sang ou un produit biologique contenant du sang pour lesquels le risque viral est prouvé". (Source : GERES)
(3) Les ongles longs ou artificiels, de même que les bijoux, sont des facteurs de risque pour la colonisation des mains par des bactéries.
Source : Enquête sur les pratiques d’infirmiers libéraux de Seine-et-Marne en matière de prévention des risques liés aux soins réalisés à Domicile en 2012. P. Donaghy et C. Greillet, Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (BEH) du 18 février 2014
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