L'abus de téléphone portable est-il dangereux pour le cerveau ?
Comparées au reste de la population, les personnes ayant développé un gliome (un type de tumeur cérébrale qui peut être bénin ou malin) sont plus fréquemment de "gros utilisateurs" de téléphone mobile, selon une étude publiée le 13 mai 2014 dans la revue Occupational and Environmental Medicine (OEM). Si ces travaux nourrissent les soupçons autour des effets potentiellement néfastes d'une utilisation soutenue des portables, ils ne constituent pour l'heure qu'une base de travail pour des études plus approfondies.
Pour mener leur étude, les chercheurs ont tout d'abord demandé à 253 personnes atteintes d'un gliome et à 194 atteintes d'un méningiome de décrire la fréquence avec laquelle ils avaient utilisé leur téléphone mobile ou smartphone durant les années précédentes.
Dans un second temps, ils ont posé la même question à de nombreux individus ne souffrant pas de gliomes, mais ayant un profil de vie similaire aux malades (même proportion de fumeurs, même répartition socioprofessionnelle, etc.).
Résultat : on trouve chez les malades et chez les personnes saines une même proportion de gens téléphonant moins d'une demi-heure par jour.
Mais sur les 253 malades atteints de gliomes, 29 étaient de gros utilisateurs de téléphone portable (plus d'une demi-heure d'appel par jour). Dans la population "témoin", on trouve 22 gros utilisateurs sur 504 individus. En d'autres termes : parmi les malades, on trouve une proportion significativement plus élevée de gros utilisateurs (un peu plus de 11%) de téléphone que dans le reste de la population (un peu plus de 4%).
D'un point de vue statistique, cette différence de 7% est suffisamment importante pour suggérer qu'un comportement associé au mode de vie des gros utilisateurs de portable augmente le risque de développer un gliome (ce n'est pas le cas concernant le méningiome(1)).
Que signifient ces chiffres ?
Ces résultats permettent de conclure, avec 95% de certitude, qu'il y a "au moins deux fois plus de risque" de rencontrer quelqu'un déclarant avoir été un gros utilisateur de portable chez les personnes atteintes d'un gliome que dans le reste de la population. La probabilité de déclarer spontanément un gliome passe de "5 à 6 pour 100.000" (pour une personne qui n'utilise pas de mobile ou qui l'utilise moins de 30 minutes par jour) à "8 à 10 pour 100.000", ce qui reste "très faible", insistent les chercheurs.
Il faut par ailleurs rester très mesuré dans l'interprétation de ces résultats. Premièrement, ce type d'étude se fonde sur les déclarations des personnes interrogées. Or, les épidémiologistes savent que les malades ont fréquemment tendance à surévaluer leur taux d'exposition à un facteur de risque potentiel, surtout si celui-ci est déjà, à tort ou à raison, suspecté (on parle de "biais de mémorisation" ou de "biais d'anamnèse").
Par ailleurs, les chiffres n'éveillent pas seulement les soupçons sur le téléphone mobile, mais sur l'ensemble des comportements associés à son utilisation intensive. Si les gros utilisateurs sont, par exemple, plus stressés au quotidien, cette étude pourrait tout aussi bien suggérer un sur-risque de gliome associé au stress.
On voit bien ici que ce type d'études (que l'on appelle "études cas-témoins") est très précieux pour déterminer l'orientation de recherches ultérieures(2).
Un suivi sur le long terme d'un grand nombre de gros utilisateurs de portable apparaît nécessaire pour déterminer la nature du lien qui est ici suggéré.
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(1) Concernant les chiffres associés au méningiome : 11 gros utilisateurs sur 194 malades (5,7%), à comparer avec 12 gros utilisateurs pour 388 personnes saines (3,1%). A première vue, on pourrait croire qu'il y a "deux fois plus de risque" de trouver un gros utilisateur de portable chez les personnes atteintes de ce cancer. Ceci n'est pourtant pas vrai, car la marge d'erreur associée à ces résultats est très importante (l'écart entre ces deux proportions n'étant que de 2,6%). La probabilité d'avoir trouvé par hasard plus de gros utilisateurs de portable dans le groupe de malades que dans le groupe témoin est trop élevée pour conclure quoi que ce soit. Si on avait inclus quatre gros utilisateurs de téléphone de plus dans le groupe de 388 individus qui sert de base de comparaison pour le groupe "méningiome", ils représenteraient 4,1% de leur groupe. Avec trois gros utilisateurs de moins chez les malades, leur proportion tombe à… 4,1%. Pour les chercheurs, les résultats sont tellement soumis à l'aléatoire que, concernant le méningiome, la différence mesurée n'est absolument pas significative.
(2) Les effets mesurés à l'aide de ces études sont parfois flagrants. Ainsi, si l'on s'intéresse à la proportion de fumeurs chez les personnes atteintes d'un cancer du poumon (comparé à la proportion de fumeurs chez les personnes de même profil non atteintes d'un cancer), on constate une différence très marquée même lorsque le nombre de personnes étudié est faible. C'est d'ailleurs sur la base d'un tel travail qu'en 1951, des chercheurs anglais ont jugé indispensable de mener une étude d'envergure sur les méfaits du tabac…
Source : Mobile phone use and brain tumours in the CERENAT case-control study. G. Coureau et coll. Occup Environ Med. 9 mai 2014 doi:10.1136/oemed-2013-101754
VOIR AUSSI :
- Ondes et santé : l'étude impossible ?, article du 23 janvier 2014.