Le Mediator trouble encore l’Agence du médicament
L’Afssaps, l’Agence responsable du contrôle de la sécurité des médicaments en France, se retrouve une fois de plus dans la tourmente à cause du Mediator. Sa direction a en effet envisagé de nommer à un poste stratégique le Dr Rey-Quinio, alors même qu’elle y a été chargée des années du suivi de ce dangereux coupe-faim "masqué", créé par les laboratoires Servier… où elle avait travaillé !
"Les habitudes de connivences, de passerelles entre l'industrie pharmaceutique et les autorités sanitaires chargées de contrôler les médicaments sont tellement anciennes qu’il faudra probablement des années pour en sortir… ", s’inquiète le Dr Irène Frachon, qui a révélé les effets secondaires mortels du Mediator. Ce traitement présenté comme un anti-diabétique, mais utilisé comme un coupe-faim, est au cœur d’une nouvelle polémique peu encourageante quant à la réalité de la révolution annoncée ces derniers mois en matière de sécurisation des médicaments.
"J'ai été indigné"
C’est le journal Le Figaro qui a annoncé, ce mercredi 23 novembre 2011, la promotion du Dr Catherine Rey-Quinio à un nouveau poste de direction dans l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). En fait, il ne s’agissait encore que d’un projet… mais un projet déjà très troublant au regard du profil de la candidate (cf. reportage). C'est d'ailleurs le Dr Irène Frachon qui a aidé Le Figaro à compléter le CV de cette experte, ancienne responsable du Mediator à l'Afssaps jusqu'à son retrait. "Elle m’a elle-même confié, sans aucune gène apparente, avoir auparavant travaillé pour les laboratoires Servier et plus particulièrement sur l'Isoméride, ce qui m’a laissée bouche bée", se souvient le Dr Frachon. "Etant donné la proximité chimique entre ce coupe-faim, interdit pour sa dangerosité, et le Mediator, n’aurait-elle pas pu faire le lien et donner l’alerte ?" Autrement dit, soit le Dr Rey-Quinio a manqué d'un discernement minimum quant aux molécules des médicaments dont elle s’occupait, soit son attitude résulte d’un conflit d’intérêts majeur.
"Lorsque j’ai découvert ce projet de promotion, j’ai été indigné", déclare pour sa part Gérard Bapt, le député PS qui a présidé la mission d’information de l'Assemblée nationale sur le Mediator et la pharmacovigilance (cf. reportage). "Je venais juste de lire Le livre noir du médicament, dont les auteurs révèlent que le Dr Rey-Quinio a accédé à la demande des laboratoires Servier concernant la suppression de la mention amphétaminique de la notice du Mediator… Autrement dit, la suppression d’une information qui aurait pu donner l’alerte sur la véritable nature de coupe-faim de ce médicament et ses risques." L’experte expliquerait dans le même ouvrage n’avoir fait qu’obéir aux instructions de ses supérieurs.
Reconquérir la confiance des médecins et des patients
Quel que soit le réel degré d’initiative du Dr Rey-Quinio dans pareille décision, le fait que l’Agence du médicament ait à l’époque confié le suivi du Médiator à une ancienne salariée des laboratoires Servier reste très troublant… Tout comme sa présence, encore aujourd’hui, dans les murs de l’institution. Pire, aux yeux du Dr Irène Frachon comme de Gérard Bapt, elle serait maintenant récompensée par une promotion ! "Le monde continue à tourner comme si la catastrophe sanitaire du Mediator n’avait pas eu lieu", regrette la pneumologue du CHU de Brest, "nous en sommes visiblement loin !". Gérard Bapt confirme : "si le système de sécurité sanitaire français veut reconquérir la confiance des médecins et des patients, il ne faut pas autoriser cette nomination du Dr Rey-Quinio."
Il se trouve qu'à l’annonce des révélations du Figaro, Gérard Bapt avait "rendez-vous" avec Xavier Bertrand, le ministre de la Santé à l’Assemblée nationale. En fait, ils n'étaient pas seuls : c’était justement le vote du projet de renforcement de la sécurité sanitaire du médicament. A la question du député PS sur le cas "Rey-Quinio", le ministre a répondu fermement qu’il s’opposait à pareille promotion et avait demandé au Pr. Dominique Maraninchi, directeur de l’Afssaps d’agir en ce sens.
Le mélange des genres continue
De fait, quelques heures plus tard, mercredi matin, le Pr. Maraninchi a annoncé que sur sa requête, le Dr Rey-Quinio avait retiré sa candidature. "Il doit bien y avoir un avant et un après Mediator, par respect pour les victimes", explique le directeur. "Puisque ce projet de nomination soulevait un doute, il fallait le supprimer. Nous devons travailler pour la sécurité du médicament de façon claire et transparente." Et d’expliquer la refonte encours de l’Agence qui doit se trouver des instances de transition. Le Dr Rey-Quinio n’en sera donc pas. Mais son appartenance même à l'Afssaps ne semblait pas remise en question pour autant. Le Pr. Maraninchi tient surtout à mettre en avant le travail en cours : "on n’a jamais autant retiré de médicaments que ces derniers mois ! Les seuls à s’en être plaint, sont justement les laboratoires Servier !"
Mais l’ensemble laisse un certain sentiment de malaise… et quelques doutes sur les processus en cours. Difficile en effet de ne pas percevoir un brin de contradiction dans le discours du directeur de l’Afssaps qui souligne à la fois la nécessité de complètement rénover son agence pour sortir des errances passées… et le bon travail de "nettoyage" accompli par les "anciennes" équipes actuelles, toujours pas remplacées ! Le Dr Irène Frachon a ainsi des exemples bien concrets du mélange des genres qui peut régner dans les fameuses commissions d’AMM (Autorisation de mise sur le marché) des médicaments : "un membre qui avait voté en faveur d’un traitement contre la maladie de Parkinson a réalisé, des années plus tard, une expertise pour défendre le laboratoire à l’origine de ce médicament lorsqu’un patient a porté plainte pour le développement d’un redoutable effet secondaire : une addiction au jeu et au sexe. Et bien il semblerait que ce membre ne soit pas remis en cause dans les renouvellements en cours."
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