Pourquoi la morphine augmente parfois la douleur
Dans des cas fréquents, l'effet produit par la morphine est l'inverse de celui recherché. Pour des raisons jusqu'alors inconnues, le célèbre analgésique vient augmenter la douleur jusqu'à des seuils intolérables. Une équipe canadienne vient d'élucider ce paradoxe, offrant une piste sérieuse pour contourner le problème.
Analgésique puissant, administré notamment aux patients atteints de douleurs chroniques, la morphine ne soulage pas tout le monde... L'un des effets indésirables recensés (1) de l'alcaloïde est, paradoxalement, de produire, chez certaines personnes, une hyperalgésie (hypersensibilité sensorielle) qui vient contrecarrer les intentions du traitement.
On a longtemps cru que le phénomène était dû à une tolérance de l'organisme à la morphine. Une étude publiée le 6 janvier 2013 dans la revue Nature Neuroscience démontre qu'il n'en est rien, révélant le subtil et complexe mécanisme qui entraîne la survenue de douleurs.
Le dysfonctionnement d'un mécanisme d'alerte
Les sensations associées au toucher sont véhiculées au travers de très nombreux signaux nerveux qui transitent par la moelle épinière. Ces signaux sont en permanence largement inhibés par l'organisme. Le flot d'informations n'est habituellement relâché qu'en cas de blessure.
"La zone autour d'une brûlure, même si elle n'est pas directement touchée, est extrêmement sensible", explique pour nous le docteur De Koninck, co-auteur de l'étude. "C'est une sensation normale, qui nous oblige à nous préoccuper de la blessure."
C'est le mécanisme même de cette inhibition que la morphine vient dérégler, au terme d'une cascade d'évènements dont il a fallu comprendre l'enchaînement.
Les chercheurs ont en effet observé que la morphine, dans les situations où se manifeste l'hyperalgésie, vient activer les récepteurs situés à la surface de certaines cellules de la moelle épinière : les microglies. Celles-ci, en réaction, peuvent parfois activer de seconds récepteurs, les "P2X4", habituellement en sommeil. L'enchaînement est alors ineluctable...
Une cascade d'évènements qui dérèglent le sens du toucher
Ces fameux P2X4 sont en effet sensibles aux molécules d'ATP (adénosine triphosphate), vecteurs omniprésent de la communication entre les cellules. Les P2X4 ordonnent bientôt à leur microglie la sécrétion de BDNF, protéine qui se dépose à la surface des neurones spinaux.
Au terme de ce passage de relais chimique, ces neurones ferment certaines voies d'échange avec l'extérieur. En l'espèce, les canaux qui régulent très précisément la présence d'ions chlorures.
La cellule réduit alors brutalement l'émission des neurotransmetteurs "GABA"… ceux-là même qui inhibent les informations du toucher !
"Dès lors que l'inhibition est affaiblie, les signaux réprimés déferlent", achève d'expliquer le Dr de Koninck. "Toutes les sensations sont alors démultipliées. La moindre caresse provoque une douleur intolérable."
Pendant ce temps, pourtant, la morphine continue d'agir
"Cette découverte recoupe celle d'un mécanisme que nous avions identifié en 2003 au cours d'une étude sur les douleurs neuropathiques," nous explique le Dr De Koninck. "Nous avions observé que cette même cascade de phénomènes était à l'origine de l'hypersensibilité ressentie à la suite de lésions nerveuses. L'ironie est ici que la morphine, qui doit calmer la douleur, puisse rendre neuropathique."
Pourtant, alors que les neurones inondent le cerveau d'informations sensorielles, la morphine continue d'agir sur l'organisme. "En rétablissant la modulation normale de l'inhibition que doivent assurer les neurotransmetteurs, la douleur induite cesse. Or, à la suite de nos recherches de 2003, nous avons identifié des molécules qui rétablissent cette modulation. Nous avons même dépassé, pour certaines d'entre elles, le stade de l'étude de toxicité", se réjouit le chercheur. "Dans le cas de la survenue de l'effet secondaire, ces molécules pourraient permettre la poursuite du traitement à la morphine."
(1) L'hyperalgésie induite par la morphine serait, selon les auteurs de l'étude, un phénomène fréquent. Sa prévalence est cependant mal documentée, puisqu'on l'associait à un simple phénomène de tolérance et d'accoutumance de l'organisme.
Source : "Morphine hyperalgesia gated through microglia-mediated disruption of neuronal Cl− homeostasis", Nature Neuroscience(2013), doi:10.1038/nn.3295
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